Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur euradio les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’Etat de droit ce sont des principes permettant d’assurer la garantie des droits fondamentaux mais on n’a vu aussi que chaque régime national peut affiner les qualifications de son Etat de droit.
Absolument Laurence, on a beaucoup parlé du façonnage polonais ou hongrois de ces dernières années.
Mais là, c’est l’Allemagne qui fait parler d’elle!
Eh oui!
Il y a déjà la question houleuse des financements publics des partis d’extrême droite.
Oui il y a un an, la Cour constitutionnelle allemande avait donné raison mercredi au parti d’extrême droite AfD. Sa fondation politique - Desiderius Erasmus - était privée d’un financement public. Et dans la constitution allemande, les partis politiques sont décrits comme devant concourir à la formation de la volonté politique du peuple (Art. 21). Et leurs organisations satellites, les fondations politiques, jouent un rôle en matière d’éducation politique et démocratique.
Donc elles ont le droit d’obtenir des subventions au titre de l’égalité des chances entre les partis. Exactement, c’est pour cela que la Cour constitutionnelle fédérale a exigé une loi spécifique. Cet attachement au pluripartisme s’explique par le fait que du temps des deux Allemagnes, il était important de montrer que l’Ouest était - aussi – juridiquement distinct de l’Est.
Mais nous parlons bien des fondations pas des partis eux mêmes
Voilà, c’est là où cela devient un peu plus compliqué. La relation entre les partis politiques et les fondations est parfois paradoxale. D’un côté, ils sont indépendants les uns des autres, sur le plan juridique et organisationnel : la Cour constitutionnelle fédérale avait déjà posé une exigence de distance afin d’exclure tout financement des partis politiques par ricochet. En tant qu’organisation de la société civile, les fondations politiques peuvent invoquer la liberté fondamentale d’association.
La nouvelle loi fait avancer le débat un peu?
A peu près! La loi du 10 novembre 2023 la loi sur le financement des fondations politiques adoptée largement, sauf les élus AfD d’ailleurs, opère une distinction entre le financement de projets et le financement institutionnel. Le montant de l’aide institutionnelle figurera dans la loi de finances et une clé de répartition est fixée dans la nouvelle loi.
J’imagine que cette clef de répartition dépend surtout des résultats des élections.
Tout à fait, et la loi en profite aussi pour préciser que les fondations politiques ne sont pas éligibles à un tel soutien financier si elles visent à éliminer ou à supprimer « l’ordre fondamental libéral et démocratique ».
Ah oui, c’est là que l’on raccroche avec le scandale politique du plan d’expulsion illégal de l’AfD.
Oui, alors là, on a un scandale soulevé par le journalisme d’investigation, nous ne savons pas dans quelle mesure la fondation est impliquée à ma connaissance.
Mais ça explique la vigueur des manifestations en Allemagne !
Et là en janvier, le parti NPD, rebaptisé «Die Heimat» (La Patrie), a été interdit de tout financement d’origine publique car il «continue à viser, à un remplacement de l'ordre constitutionnel existant par un “État national” autoritaire» L'«attitude raciste, en particulier antimusulmane, antisémite et antitsigane» du parti est contraire aux principes constitutionnels de l'Allemagne dit la cour de Karslruhe.
Elle ouvrirait donc la voie à une éventuelle procédure similaire à l'encontre de l'AfD.
Délicat à la veille des élections européennes mais au regard de ce précédent et de la loi, ce n’est pas impossible !