Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe détaille dans cette chronique 30 propositions de 30 auteur·ices issues du livre "30 idées pour 2030" pour aborder autrement les élections européennes prochaines. Sur euradio.
Dans le chapitre premier du livre « 30 idées pour 2030 », Dominique Rousseau, juriste et professeur de droit constitutionnel français, fait le plaidoyer de l’adoption d’une Constitution pour l’Union européenne.
Il affirme que la rédaction d’une Constitution est une étape essentielle à la formation d’une collectivité de citoyens. En cela, le moment constituant s’apparente à un grand moment démocratique, de discussions, de débats entre tous les acteurs de la société, pour définir, comme il le désigne « l’ordre politique désirable ». Les peuples européens ont besoin de ce moment de société afin de resserrer leurs liens et d’asseoir leur volonté d’avancer ensemble dans une union politique sans cesse plus étroite.
De plus, l’adoption d’une constitution permettrait la consécration d’un ensemble d’institutions qui contribueraient à l’établissement d’un véritable gouvernement démocratique européen. Il s’agirait ici, dans un mouvement de démocratisation des institutions, de repenser les schémas électifs du Conseil, les compétences du Parlement ou encore de créer une Cour constitutionnelle européenne liée aux organes politiques.
Pour conclure, et prenant comme référence Victor Hugo, il en appelle à ce jour fameux où « l’Europe viendra », ce jour où toutes les nations du continent, sans perdre leurs qualités distinctes, fonderaient dans une unité supérieure « la fraternité européenne ».
En quoi la rédaction et l’adoption d’une Constitution pour l’Europe répondrait effectivement au déficit démocratique relevé ?
A l’approche des élections européennes, les tensions sur le futur du projet européen semblent s’exacerber. Ce clivage essentiel s’articule alors autour de la notion de légitimité.
Si le fonctionnalisme historique des communautés européennes correspondait au contexte qui a vu naître ce projet, il contraint aujourd’hui de trop son développement. En effet, il existe une vraie différence entre les compétences dévolues par les Etats membres à l’Union et la légitimité de leur exercice qui est encore en possession des représentants étatiques.
De là, deux visions semblent s’opposer. D’un côté, les différentes figures du populisme souhaitent replacer les compétences là où se trouve la légitimité, et appellent de fait à un retour de certains pouvoirs dans le giron des Etats. De l’autre, les partisans d’une Europe toujours plus politique appellent de leurs vœux l’établissement d’une représentativité plus forte du peuple européen au sein des institutions. C’est pourquoi le Professeur Rousseau estime que : « Pour qui soutient l’idée d’une Europe politique, le renouvellement du gouvernement européen est une exigence qui impose que l’Europe se dote enfin d’une Constitution ».
La réflexion qui mènerait à l’adoption d’une Constitution pour l’Europe permettrait de nommer cette collectivité de citoyens. Il ne suffit pas simplement d’en appeler à une Europe politique pour que celle-ci se concrétise, il nous faut réfléchir, débattre, discuter, puis consacrer notre volonté sans cesse renforcée d’une collectivité de destin. En cela, le processus constituant apparaît comme une évidence car il permettrait d’institutionnaliser cet imaginaire commun, et le texte final serait alors la conclusion juridique de ce débat politique.
Quelles institutions nécessiteraient d’être repensées afin d'accroître la légitimité démocratique de l’Union européenne ?
Dominique Rousseau s’est prononcé sur l’établissement d’un « gouvernement démocratique européen » qui s’inspire des institutions actuelles mais qui raffermit leurs liens avec le peuple européen.
Une proposition particulièrement intéressante serait d’instaurer une deuxième chambre au niveau du Parlement européen.
La première, élue au suffrage universel, représenterait les citoyens européens, par un scrutin organisé sur la base du principe proportionnel, tous les 5 ans.
La seconde chambre représenterait les Etats membres, chaque Etat désignant quatre représentants.
Ce parlement repensé disposerait alors de trois compétences principales : élire un « premier ministre européen », dans une logique qui se rapproche fortement de celle des régimes parlementaires, voter les lois, et contrôler l’action du gouvernement.
Cette assemblée élue pourrait alors manifester sa méfiance à l’égard du « gouvernement », en votant une motion de censure qui devrait comporter le nom du nouveau « premier ministre » proposé.
Cette proposition transcrit une logique essentielle que nous souhaitons retrouver dans l’Europe du futur, celle d’un Parlement européen au rôle repensé, car seul véritable représentant du peuple européen en tant que tel.
Que répondriez-vous à ceux qui estiment que l’Europe n’a pas besoin de Constitution, que nous devrions apprendre de l’échec du Traité établissant une Constitution pour l’Europe de 2005 ?
Si l'Être historique européen existe, les européens n’en ont pas conscience, ne le voient pas car il ne leur est nulle part présenté. Au contraire, les fractures, les déchirements et antagonismes qui les divisent sont présentés comme irréductibles.
Contre cette vision entretenue d’une fragmentation insurmontable des mémoires nationales, l’écriture d’une Constitution européenne permettrait de rendre visible le patrimoine des valeurs partagées et constituer la catégorie à partir de laquelle les Européens se représenteraient et refonderaient leurs institutions.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.