Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Le sujet d’aujourd’hui porte sur les racines et les grandes profondeurs aujourd’hui.
Oui Laurence, nous avions parlé avec Frédéric Rees de l’histoire d’amour qui lie les racines au sol, cette fois je me suis fait accompagnée d’Amandine Germon, chercheure au Cirad pour prendre un peu de profondeur. Lors de la dernière chronique, nous étions dans de sols très jeunes de quelques centimètres de profondeur. Aujourd’hui on va plonger à près de 17 m de profondeur.
17 m de sol ? A 17 mètres on est encore dans du sol, pas dans de la roche ? Et il y a encore des racines ?
Oui c’est étonnant mais c’est bien ce qu’a observé Amandine. La profondeur des sols dépend du type de sol et d’un tas de facteur, le matériel parental, c’est-à-dire souvent la roche de départ, l’âge du sol, le climat qu’il subit, sa localisation dans le paysage, en bas ou en haut de pente. Amandine a observé des racines à 17 m sous une plantation d’Eucalyptus au Brésil. Dans ce que l’on appelle un ferralsol vieux de plusieurs milliers d’années, situé dans une vallée.
Mais comment peut-on observer des racines à de si grandes profondeurs ?
Oui surtout que l’objectif d’Amandine n’est pas simplement de localiser les racines, mais bien de comprendre comment elles colonisent les profondeurs pour s’adapter aux conditions changeantes comme la sécheresse.
L’enjeu est donc de pouvoir observer ces racines vivre et d’étudier leur fonctionnement sans les arracher…Des tubes sont alors enfoncés dans le sol à différentes profondeurs. Régulièrement des photos ou plutôt des scans sont réalisés afin d’observer et mesurer la croissance des racines à ces profondeurs.
Des tubes de 17 m depuis la surface ?
Alors non, pour les profondeurs les plus grandes, une fosse est réalisée et les tubes sont enfoncés à la profondeur voulue depuis la fosse. Grâce à des relevés réguliers des scans, il est possible d’étudier le fonctionnement des racines à chaque profondeur.
Parce que les racines en profondeur ne fonctionnent pas comme celles de surface ?
Non, tout comme la croissance des racines n’est pas synchrone avec celle des parties aériennes. En hiver, la croissance des parties aériennes des plantes est généralement à l’arrêt, pas celles des racines. Les racines de profondeur ont des durées de vie plus longues que les racines de surface et survivent aussi bien souvent à la coupe. Dans les plantations d’eucalyptus étudiées par Amandine, la conduite est en taillis. C’est à dire que tous les 6 ans, les arbres sont coupés à ras et repoussent. Le système racinaire reste en place et survit en partie à la coupe rase. Moins d’un an après la coupe, des racines vivantes sont observées à 14 m de profondeur.
Pourquoi s’intéresser aux racines si profondes ?
S’intéresser aux systèmes racinaires c’est s’intéresser à l’acquisition des ressources en eaux et en nutriments de la plante. Comprendre l’exploration du sol par la plante grâce à ses racines permet de comprendre ses stratégies d’adaptation face à des stress comme la sécheresse. La plante que ce soit l’eucalyptus ou d’autres plantes peut investir dans ses racines, accroitre sa zone de prospection en profondeur et ainsi améliorer ses chances de survie.
Amandine utilise-t-elle des systèmes d’exclusion de pluies comme vous nous aviez décrit il y a quelques semaines ?
Exactement. En conditions sèches, les racines sont plus nombreuses et plus profondes qu’en conditions bien arrosées. Ces augmentations de l’ordre de 20 à 50% sont très variables d’une plante et des conditions à l’autre et elles sont principalement localisées en profondeur. Leur anatomie est également modifiée, car la stratégie de la plante en conditions sèches est tournée vers l’acquisition ou la conservation de ses ressources pour optimiser l’absorption d’eau et sa survie.
Leur anatomie que voulez-vous dire ? des racines ce sont des racines.
Oui elles ont toujours une « tête » de racine mais elles sont modifiées de l’intérieur. Si vous observez une section transversale d’une racine au microscope, vous verrez une zone au centre appelée la stèle et une zone autour de la stèle, le cortex. Grossièrement, la stèle contient les vaisseaux qui vont conduire l’eau aux parties aériennes et le cortex est une zone d’absorption qui apporte également soutien, réserves et oxygène. En conditions de sécheresse, la stèle s’agrandit au détriment du cortex. La plante réalloue ses ressources. Les fonctions de transport d’eau assurées par la stèle sont favorisées alors que des cellules du cortex meurent pour diminuer le cout énergétique de leur maintien. Chez de nombreuses plantes on observe également une augmentation de la colonisation mycorhizienne de la stèle. La plante investit une partie de ses ressources dans cette association avec un champignon pour élargir sa zone de prospection et acquérir plus de ressources.
C’est intéressant mais vous vous éloignez de votre sujet, le sol ?
Pas tant que ça, car l’histoire des sols est indissociable de celles des racines. On a vu précédemment que le sol se forme et s’approfondit grâce aux actions physiques et chimiques que les racines exercent sur lui. C’est bien parceque de nombreuses plantes se sont succédées pendant des milliers/millions d’années que certains des sols étudiés par Amandine font 17 mètres de profondeur !
Un entretien réalisé avec Laurence Aubron.