Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Dans votre dernière chronique sur l’activité biologique des sols vous nous avez surtout parlé de fertilisation organique.
Oui un peu comme si pour décrire une soirée entre ami·es, je vous avais décrit les plats servis plutôt que les convives. Revenons donc sur eux, sur les organismes du sol. On sait qu’ils sont abondants qu’il existe de très nombreuses espèces en interaction les unes avec les autres. Interaction de symbiose entre champignon et racine, ou interaction de prédation, les taupes mangent des vers de terre, les collemboles mangent des hyphes mycéliens, les nématodes mangent d’autres nématodes, des interactions de parasitismes, des hyphes mycéliens parasitent des racines, mais peuvent aussi parasiter des nématodes qui pour certains sont aussi des parasites d’autres organismes.
Pas facile à suivre…
Non ce qui rend le discours complexe mais passionnant, c’est la diversité des espèces et de leurs interactions. Les nématodes par exemple, des milliers d’espèces différentes. Dire « les nématodes sont phytoparasites » est faux. Certains le sont c’est vrai, mais d’autres espèces sont bactérivores et ne toucheront jamais aux racines de vos tomates !
Est-ce que ces interactions sont favorables à la nutrition des plantes ?
La semaine dernière je vous disais, redevenir terrien·ne c’est comprendre les interactions biologiques des sols pour s’affranchir de la chimie. On vient de le voir, ces interactions entre organismes sont très variées. Elles sont actuellement étudiées dans l’objectif de favoriser les plus intéressantes.
Pouvez vous nous donner quelques exemples ?
La plus connue de ces interactions est la symbiose entre bactéries, les rhizobia et les racines de légumineuses comme le haricot ou le trèfle. Une symbiose est une interaction à bénéfice réciproque. Ici, la bactérie fournit de l’azote à la plante et la plante fournit du sucre à la bactérie. Les besoins en N de la plante sont comblés au moins en partie grâce à l’azote de l’air transformé et transféré de la bactérie à la plante.
Et de l’azote dans l’air ce n’est pas ce qui manque.
Non 80 % de l’air est composé d’azote. Le facteur limitant ici n’est pas l’azote, pas besoin d’engrais azoté. Dans ce cas, si les légumineuses ne se sont pas exportés hors de la parcelle, le sol s’enrichit en azote grâce à cette association entre racines et bactérie.
Un autre exemple ?
Oui cette fois avec le besoin en phosphore des plantes. Le phosphore est essentiel, mais il est souvent un facteur limitant de la production végétale. Faiblement disponible dans les sols pour les plantes, l’agriculture fait souvent appel aux engrais phosphatés. Pourtant, il y a du phosphore dans les sols.
Je ne comprends pas, il y en a ou il n’y en a pas ?
Il y en a, mais il est peu disponible pour les plantes. Il est soit sous une forme organique, soit adsorbé sur la matrice minérale du sol.
Est-ce que des processus biologiques peuvent favoriser la disponibilité de ces réservoirs de phosphore pour les plantes ?
Oui, on ne sait pas encore très bien quantifier et piloter ces processus. Mais des interactions entre racines, bactérie et bactérivores.
Comme les nématodes ?
Oui, comme certains nématodes ont été identifiés. On appelle ces interactions la boucle microbienne.
Le phosphore soit organique soit inorganique, mais adsorbé sur des surfaces minérales doit être rendu libre sous forme minérale dans la solution du sol pour être prélevé par les racines. C’est possible grâce à l’action d’enzymes ou d’acides microbiens. Malheureusement, lorsque ce P est enfin disponible il est très souvent plus rapidement prélevé par les bactéries du sol qui en ont-elles aussi besoin pour se développer.
Les bactérivores en consommant ces bactéries libèrent en partie le phosphore qu’elles immobilisaient qui devient ainsi disponible pour les plantes.
Des expérimentations ont ainsi montré que l’ajout de nématodes en stimulant l’activité des bactéries favorisaient la minéralisation de phosphore organique et l’absorption de phosphore par les plantes. Le contenu en phosphore des tissus des plantes pouvait être augmenté de 30 % en leur présence.
Ce recyclage du phosphore organique par ces mécanismes de prédation entre bactérie et nématodes semble aussi complexe que passionnant…
Oui, redevenir terrien en s’appuyant sur l’ensemble des interactions entre organismes des sols est un vrai défi. Si préserver la biodiversité des sols pour préserver la richesse de ces interactions semble une évidence, la compréhension de ces interactions est encore un sujet de recherche dont on aura l’occasion de reparler.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.