Comme toutes les semaines, nous accueillons Jenny Raflik, professeure d'Histoire à l'Université de Nantes pour sa carte blanche de la PFUE.
Lors de son discours devant le Parlement européen, Emmanuel Macron a annoncé l’organisation du sommet avec l’Union africaine en février prochain. C’est l’occasion pour nous de revenir sur l’histoire de ces sommets et leurs objectifs.
Ces sommets découlent de la stratégie conjointe initiée lors du 1er Sommet entre l’Union européenne et l’union africaine, à Lisbonne, en 2007, qui repose sur des principes de partenariat et de solidarité entre les deux continents.
Cette stratégie commune et les sommets réguliers qui l’accompagnent ne remplacent pas, mais complètent les autres cadres de coopérations qui existent avec l’Afrique subsaharienne, et les pays du voisinage de l’Union européenne. Ainsi, la stratégie conjointe complète l’accord de Cotonou, signé en 2000 pour remplacer la Convention de Lomé, et dont l’accord de remplacement est actuellement en cours de négociation.
Derrière ces formes plus ou moins nouvelles de coopération se profile la question de la transformation des relations entre les deux continents, et notamment la volonté de dépasser le rapport de force donateur-bénéficiaire, qui a longtemps dominé. Cette évolution en cours découle de plusieurs facteurs : les besoins des pays africains ont changé, du fait de l’évolution de leurs économies au cours des dernières décennies. Côté européen, la crise migratoire et l’intensification de la menace terroriste ont introduit une préoccupation sécuritaire nouvelle. Enfin, il faut aussi souligner l’influence d’un nouvel acteur dans la région – la Chine – qui fait concurrence à l’UE en termes d’échanges et d’investissements.
Alors que peut-on attendre du sommet qui va s’ouvrir en février ?
Ce sommet UE-UA a été préparé de longue date.
En décembre dernier, le président du conseil européen, Charles Michel, a reçu à Bruxelles plusieurs dirigeants africains à ce sujet : notamment le président congolais, Felix Tshisekedi, président alors en exercice de l’UA, et le président Sénégalais, Macky Sall, qui a pris le relai de cette présidence pour 2022-2023. Une autre rencontre préparatoire a eu lieu la semaine dernière, à Paris, avec l’équipe de la présidence française de l’UE. L’accent y a été mis sur les relations commerciales entre l’Union européenne et l’Afrique. Ces échanges commerciaux ont augmenté de 20% entre 2016 et 2020, pour atteindre 225 milliards d’euros, ce qui fait de l’UE le premier partenaire multilatéral de l’UA. Cependant, au niveau bilatéral, c’est la Chine qui occupe toujours la première place avec un volume commercial de 167,8 milliards de dollars en 2020.
Ceci dit, au-delà des relations commerciales, d’autres préoccupations devraient occuper le devant de la scène : au 5e sommet, organisé en 2017 à Abidjan, l’accent avait été mis sur les questions migratoires. Il faut dire que ce 5e sommet avait eu lieu, on s’en souvient, au lendemain de la révélation, par la chaîne CNN, de l’existence de marchés aux esclaves en Libye. La question reste d’actualité. Mais elle pourrait être supplantée par deux autres sujets : d’une part l’épidémie de covid, et ses impacts sociaux-économiques sur les deux continents, et, d’autre part, l’intensification de la menace terroriste au Sahel.
Que fait et que peut faire l’UE face à cette menace terroriste ?
L’Union européenne appuie de façon continue depuis plusieurs années la lutte menée contre les organisations terroristes de la région par les États du G5 Sahel : le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Mais, sur le terrain, bien souvent, la présence militaire est une présence uniquement française. De ce point de vue, nous assistons aujourd’hui à un tournant décisif pour l’Union européenne. Le 10 juin dernier, le président Macron a annoncé la fin prochaine de l’opération Barkhane, qui elle-même avait succédé en 2014 à l’opération Serval décidée l’année précédente par le président Hollande.
À l’époque, il s’agissait d’envoyer des troupes françaises au Mali pour endiguer la menace jihadiste qui pesait sur le Sahel. Malgré l’annonce du retrait, le problème demeure. La mort d’un soldat français, le 22 janvier 2022 dans une attaque terroriste contre un camp de l’opération Barkhane est venue rappeler tragiquement, s’il en était besoin, que la menace est toujours présente. En fait, depuis mars 2017, l’offensive islamiste au Sahel s’est renforcée, sous l’influence du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, JNIM, la filiale la plus active d’AQ, qui a su fédérer les forces de plusieurs groupes actifs dans la région.
En annonçant le retrait français, Emmanuel Macron a évoqué une transition, avec un passage de relai aux Européens et aux Nations Unies, deux partenaires déjà présents : l’Europe via la mission de formation EUTM (1 000 allemands et espagnols), et la force Takuba ; l’ONU via la Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (Minusma).
Nous sommes ici à un moment de vérité : l’Union européenne a-t-elle les capacités et la volonté de prendre le relai dans la lutte anti-terroriste dans la région ? Et surtout, les partenaires africains veulent-ils de cette européanisation ? Le récent conflit entre le Mali et le Danemark, au sujet de la force Takuba, et le retrait précipité de Copenhague nourrissent les doutes. La question devra être évoquée lors du prochain sommet. De sa réponse dépendront en partie les développements ultérieurs – ou pas – de cette fameuse Europe de la défense dont a également parlé le président français lors de son discours devant le Parlement européen.
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Jenny Raflik au micro de Laurence Aubron