Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
Anna Creti, nous continuons à analyser les conséquences sur les ressources de la guerre en Ukraine. Les débats politiques actuels font état d’un certain retour à la souveraineté. Comment l’expliquez-vous ?
Réunis à Versailles, lieu symbolique de « pouvoir », les dirigeants de l'Union européenne souhaitent réduire leur dépendance à l'égard des fournisseurs mondiaux de denrées alimentaires, mais aussi de microprocesseurs, de médicaments, de matières premières et de technologies numériques, l'invasion russe de l'Ukraine constituant une raison supplémentaire d'accroître leur indépendance. Nous pouvons aussi rappeler que l’expérience de la pandémie n’est pas loin, et que pendant les deux dernières années l’Europe a constaté qu'une perturbation des chaînes d'approvisionnement pouvait limiter l'accès aux biens stratégiques, tels que médicaments ou semi-conducteurs. "Face à l'instabilité croissante, à la concurrence stratégique et aux menaces pour la sécurité, nous avons décidé de (…) prendre certaines mesures en vue de construire notre souveraineté européenne, et de réduire nos dépendances", peut-on lire dans un projet de déclaration commune signé par les leaders européens.
Nous avons analysé la situation du gaz et du pétrole, mais à cela se rajoutent le blé et le tournesol. Pourquoi ?
L'Ukraine a exporté 25 millions de tonnes de blé tendre l'année dernière et représente, avec la Russie, près de 30 % des exportations mondiales. Avec la Russie, elle détient près de 30 % des exportations mondiales. Elle est donc en mesure d'influencer les prix internationaux, ce qui explique que le coût du blé tendre ait augmenté de 13 % au cours de la première semaine de la guerre. Le blé tendre est actuellement vendu à 314 euros la tonne, soit 40 % de plus que la même semaine en 2021. Le changement climatique a aussi joué son rôle: l'année dernière, la quantité de blé produite dans le monde était inférieure à la moyenne en raison d'une sécheresse anormale, et même en ces premiers mois de 2022, il n'y a eu que très peu de pluie. La récolte de blé devrait être mauvaise cette année encore, ce qui entraînera une nouvelle hausse des prix. Le problème est similaire pour le L'Ukraine est également le premier exportateur mondial de tournesol, qui constitue la base de nombreux produits. L'année dernière, l'Ukraine, avec la Russie, représentait 60% de la production mondiale d'huile de tournesol et environ 75% des exportations mondiales d'huile de tournesol.
Comme dans les cas du gaz et du pétrole, on se demande évidemment quels sont les alternatives ?
Etats-Unis, Argentine, Canada et bien sûr France sont des pays exportateurs de blé. La Turquie et la Hongrie produisent aussi du tournesol.
Doit-on craindre une augmentation des prix des bien de consommation du quotidien ?
Les cargaisons sont actuellement bloquées dans les ports ukrainiens. Pour l’instant, les pays européens importateurs, comme par exemple l’Italie, ou l’Espagne, ont encore d'une réserve de matière première, ayant stocké la récolte de l'année dernière et les achats effectués sur le marché international jusqu'au mois dernier, mais il faudra voir comment les marchés réagissent par la suite.
Décidément, nous redécouvrons les fondamentaux du commerce international des matières premières…
Disons que le conflit actuel nous montre l’importance mais aussi les risques de l’économie ouverte, dès lors que cette dernière est « dominée » par quelques gros acteurs. Toutefois, le protectionnisme unilatéral n’est pas non plus une solution, il faudra là encore avoir une vision européenne. Par exemple, la décision de la Hongrie et de la Bulgarie d'arrêter d'exporter des céréales pour couvrir les besoins intérieurs ne pourra pas être acceptée par la Commission, car incompatible avec les règles de fonctionnement du marché intérieur.
Anna Creti est Professeure d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, qui développe des programmes de recherche autour de l’économie du changement climatique.
Anna Creti au micro de Laurence Aubron