Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, QD, vous avez décidé de nous promener dans une rue de BRUXELLES…
La Rue de Stassart, sur les hauteurs de la commune bruxelloise d’IXELLES, est bien connue pour avoir longtemps rassemblé une demi-douzaine de maisons closes, ainsi que le cabaret du Bœuf sur le Toit, ce temple belge du jazz ouvert en 1937, déménagé en 1947, définitivement fermé en 1982, les music-halls étant passés de mode.
Aujourd’hui, cette rue assez étroite et à sens unique a été incorporée dans un quartier boboïsé, où les vélos-cargo stationnent devant les biogargotes véganes.
Cela vaut peut-être une visite, mais quel rapport avec l’actualité ?...
Directement, aucun. Mais mon fils aîné, qui y a acquis un appartement dans un ancien lupanar, m’interrogeait sur le nom de sa rue, qu’aucun de ses voisins n’était capable de préciser. Qui donc était ce STASSART : jazzman, tenancier de lieu de tolérance, héros de guerre ?...
Réponse ?...
Aucun des trois. Goswin, Baron de STASSART, est né en 1780 à MALINES, à mi-chemin entre BRUXELLES et ANVERS, alors située dans les Pays-Bas autrichiens. Adolescent, il assistera plusieurs fois à la conquête et à la reprise de sa ville par les armées de la France révolutionnaire et des forces impériales autrichiennes.
Il a quatorze ans lorsque les Français remportent la Bataille de FLEURUS et annexent les Pays-Bas autrichiens, qui deviennent neuf départements français. MALINES est promue sous-préfecture du Département des Deux-Nèthes. Fidèle à l’Autriche, son père se replie avec sa famille sur VIENNE, avant de rentrer au pays, à NAMUR. A dix-huit ans, le jeune STASSART assiste au soulèvement populaire contre l’administration révolutionnaire française, surtout chez les Flamands, encouragés par leur clergé catholique, lors de ce que l’on a appelé la Guerre des Paysans. Goswin est envoyé à PARIS pour y étudier le droit.
Et qu’y fait ce jeune Flamand autrichien, devenu français ?...
Il se passionne pour les idées de la Révolution française, ce qui ne l’empêche pas d’être nommé Conseiller d’État juste après la promulgation de l’Empire, en 1804.
Parfait germanophone, le voilà nommé Intendant impérial du Tyrol et du Vorarlberg – à vingt-cinq ans ! – ensuite Inspecteur général de l’Administration dans sa région d’origine, puis en Rhénanie et en Prusse.
Mais sa carrière nous réserve encore bien des surprises.
Comment cela ?...
En 1809, changement de décor : on le retrouve Sous-préfet d’ORANGE, puis Préfet du Vaucluse. La France annexe la Hollande : il est envoyé à La HAYE, en tant que Préfet du nouveau Département des Bouches-de-la-Meuse.
Mais, lors de la campagne des Cent-jours en 1815, retour à VIENNE, où Napoléon l’a expédié pour tenter de négocier avec l’Empereur, qui le fait aussitôt embastiller. Pas longtemps, car, la même année, le Congrès de Vienne crée le Royaume des Pays-Bas et voilà notre homme député, siégeant dans l’opposition au sein de la chambre basse du Parlement à La HAYE.
Fin de carrière pour STASSART, alors ?...
Que nenni ! En 1830, sa région d’origine, désormais Royaume de Belgique, s’est arrachée à la tutelle des Hollandais. Et il n’a que cinquante ans. Le premier Roi des Belges, Léopold, en fait le Gouverneur de la Province de Namur, puis de celle du Brabant, dont BRUXELLES est le chef-lieu. L’année suivante, il est élu Président du Sénat.
Comme Léopold, STASSART est tout à la fois catholique et franc-maçon. Membre du Parti libéral, il aura étonnamment trouvé le temps de publier plusieurs livres et essais, y compris un recueil de poésies. Il meurt à BRUXELLES à l’âge de soixante-quatorze ans.
Mais pourquoi évoquer le souvenir de cet homme aujourd’hui ?...
…parce que, outre cette rue à BRUXELLES et une autre à MALINES, personne ne se souvient plus de cet homme remarquable, mort sans descendance, mais dont la vie mouvementée est en soi le reflet d’une période déterminante de l’histoire de notre continent, et qui mérite assurément qu’on le cite au titre des lointains fondateurs de l’Union européenne.
Un entretien réalisé par Laurent Pététain.