Cette semaine, Quentin Dickinson, pour votre rentrée, vous voulez évoquer la guerre en Ukraine, mais pas sous l’angle des opérations strictement militaires…
De tout temps, la propagande et la tromperie ont fait partie de l’arsenal accompagnant tout affrontement militaire. L’objectif, c’est d’induire en erreur l’état-major ennemi quant aux intentions et à la taille des forces qui lui sont opposées ; mais le but, aussi, c’est de démoraliser leurs soldats.
Depuis la Grande Guerre 1914-1918, une troisième cible est apparue : c’est l’opinion des populations civiles, qu’il s’agit de rassurer ou d’épouvanter, selon si l’on est dans un camp ou dans l’autre.
Historiquement, cette action débute de façon plutôt artisanale et au coup par coup : la presse nationale est censurée dans ses comptes-rendus des combats, et les avions larguent des milliers de tracts sur les villes et villages tenus par l’adversaire.
Mais, sans beaucoup tarder, désormais centralisée et subtile, la propagande se développe à mesure que se perfectionnent les moyens techniques de sa diffusion. La radio en devient le premier vecteur de masse, et jouera un rôle majeur au cours de la Seconde Guerre mondiale et, sans transition, tout au long de la Guerre froide.
Et cette expansion, QD, ne s’est pas arrêtée après la chute du Mur de BERLIN ?…
Non, ce serait même plutôt le contraire. La propagande s’est emparée de la cybersphère, et les réseaux sociaux sont autant de torrents furieux qui, nuit et jour, charrient des masses d’informations invérifiables, mais, le plus souvent, taillées sur mesure pour frapper les esprits de publics parfaitement identifiés par les auteurs de ces campagnes.
Alors, justement, qui sont ces personnages de l’ombre ?
Ce peuvent être les fonctionnaires des services d’information des États, chargés de rendre compte de l’actualité de leurs ministres et de présenter des aspects sympathiques de leur pays ; et, à l’opposé, il peut s’agir des agents de fermes à trolls, c’est-à-dire d’officines dont les internautes salariés, sous de multiples identités et dans la majorité des langues de la planète, instillent le doute et attisent les conflits d’opinion.
Tout le monde fait donc de la propagande, mais avec des degrés d’honnêteté très variables. Cela dépend des États : en règle générale, pour escamoter ce que l’on veut occulter, les démocraties parlementaires sont souvent dans l’omission et la temporisation, alors que les régimes autoritaires sont toujours dans l’invention et la négation.
On peut supposer que les agents de propagande de tout poil sont fortement sollicités ces jours-ci ?…
En effet. Et quand, sur le terrain, les Ukrainiens détruisent des dépôts de munitions loin derrière les lignes russes, sur l’Internet, dans le dos des pays solidaires de KYEV, la machine de propagande russe réactive ses relais en Occident afin d’y convaincre l’opinion que leurs dirigeants et leurs médias leur mentent et leur cachent la vérité.
Avez-vous quelques exemples de contrevérités que le Kremlin fait circuler en Europe ?…
Le choix est vaste ; jugez-en : « C’est l’OTAN et les Américains qui ont provoqué la guerre – POUTINE ne fait que se défendre », ou : « Les sanctions économiques ne marchent pas – au contraire, elles pénalisent l’Europe », ou alors : « Les Russes sont intervenus, à la demande des citoyens ukrainiens, pour les débarrasser d’un pouvoir corrompu, nazi, et toxicomane », ou encore : « Tout ce que veut POUTINE, c’est protéger les Ukrainiens qu’on torture pour les empêcher de parler le russe », ou (enfin) : « Nous, les Européens, à cause de cette guerre, on va crever de froid cet hiver – les Ukrainiens n’ont qu’à s’arranger avec les Russes, ce n’est pas notre affaire ».
Celle que je préfère a fini par se situer entre manipulation et complotisme ; la voici : « On le voit bien, POUTINE est très malade, les médecins sont formels, il n’en a plus pour longtemps – alors, arrêtons la guerre et attendons son successeur ». Mais voilà : les internautes finissent par remarquer que le supposé moribond enchaîne les déplacements, les discours, les inaugurations.
Alors, la désinformation échappe à ses auteurs, et l’on découvre sur les réseaux sociaux que : « POUTINE, comme avant lui STALINE, a plusieurs sosies, dont un est bien à l’article de la mort, mais ce n’est pas le vrai POUTINE ». Comprenne qui pourra – et, surtout, ceux qui sortent de l’ombre chez nous pour soutenir, consciemment ou bêtement, la mythologie moscovite.
Entretien réalisé par Laurence Aubron