Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous nous emmenez loin des suites des élections européennes…
…pas si loin que cela, d’ailleurs : située à 1.800 kilomètres à peine de BRUXELLES, la capitale de la Moldavie, CHIŞINĂU, est à la tête d’un petit pays de deux millions cinq cents mille habitants, pris en sandwich entre la Roumanie et l’Ukraine, où l’on pratique les langues roumaine et russe.
À l’est, le long de la frontière ukrainienne, s’étend la région sécessionniste de Transnistrie, inféodée à la Russie.
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les Européens sont persuadés que si le port ukrainien d’ODESSA tombe aux mains des Russes, les chars russes seront à CHIŞINĂU dans les quarante-huit heures, avec la complicité des autorités de fait transnistriens.
Vu de BRUXELLES, il y a donc les bons Moldaves et les méchants Transnistriens.
À vous écouter, Quentin Dickinson, on perçoit que vous entretenez quelque doute quant à cette présentation des choses…
L’expérience démontre que les explications simplistes sont généralement trompeuses ; alors, pour la Moldavie, essayons d’y voir un peu plus clair.
La guerre en Ukraine aura accéléré le rapprochement entre les autorités moldaves et l’OTAN ainsi qu’avec l’Union européenne ; comme pour l’Ukraine et, de l’autre côté de la Mer noire, la Géorgie, la perspective de l’adhésion à terme à ces alliances de pays démocratiques occidentaux a été tout récemment offerte à la Moldavie.
Mais ce n’est pas si compliqué que cela, Quentin Dickinson…
Attendez : la vie politique en Moldavie est en fait en partie contrôlée par des oligarques pro-russes, dont l’objectif est de saboter tout rapprochement avec l’UE. La Présidente de la République, Mme Maia SANDU, résiste vaillamment, mais sa situation reste fragile.
Et les indépendantistes transnistriens bombent le torse en rappelant la présence permanente chez eux de près de deux mille soldats de l’armée russe, ainsi que d’un arsenal géant – le plus grand stock d’armes soviétiques en Europe centrale, resté là après l’effondrement de l’URSS.
Mais il faut cependant creuser un peu plus.
Que voulez-vous dire ?...
Prenons le dossier énergétique. Le gaz provient de Russie, transite par l’Ukraine (qui prélève des droits de transit), arrive en Moldavie pour y alimenter des centrales, dont l’électricité produite est vendue aux Transnistriens, soutenus financièrement par des prêts russes. Vous suivez ?
Mais, pendant ce temps, la Moldavie cherche à se connecter aux réseaux électriques et gaziers européens par la Roumanie, ce qui permet une certaine pression sur les autorités de fait à TIRASPOL, le chef-lieu de la Transnistrie.
Mais les sécessionnistes sont fortement armés, non ?... On ne doit pas les impressionner si facilement…
Au contraire. Les Moldaves savent bien qu’à l’exception des officiers, les soldats russes en Transnistrie sont quasi-tous des recrues locales, qui passent plus de temps aux travaux agricoles et dans les tavernes que dans les casernes. Et quant à l’arsenal, il a été peu entretenu depuis trente ans, une partie des munitions est stockée à l’air libre, et les populations craignent moins qu’on s’en serve à des fins guerrières que de voir les bâtiments frappés par la foudre. De toute manière, les forces russes (les vraies) sont bien loin et ont d’autres chats à fouetter en ce moment, même si à CHIŞINĂU, on n’exclut pas la tentation de MOSCOU d’ouvrir un ici un front de diversion.
Tout-de-même, Quentin Dickinson, on peut penser que le gouvernement moldave a pour intention de favoriser la réunification du pays, non ?...
A terme, probablement, oui – en tout cas, c’est la politique exprimée officiellement. Mais les populations circulent assez librement, car très nombreux sont les détenteurs de multiples passeports, moldave et ukrainien, roumain et russe. Il n’y a pas vraiment de pression populaire pour une réunification, ce qui s’explique : la Moldavie est issue de la principauté du même nom, couvrant à peu près le territoire de la Bessarabie ottomane, aujourd’hui pour partie en Ukraine, pour partie en Roumanie – mais la Transnistrie n’en a fait partie qu’au cours de la période soviétique.
C’est effectivement moins simple qu’on aurait pu le croire…
…et encore, je ne vous ai pas tout dit : dans le sud de la Moldavie, mais séparée de la Transnistrie, se trouve une relique de l‘Union soviétique : trois contrées géographiquement distinctes qui, ensemble, forment l’Unité territoriale autonome de Gagaouzie (120.000 habitants, dont une partie à pour langue le gagaouze, mais aussi le bulgare).
Voilà : on vérifie à nouveau que l’Europe centrale et orientale résiste très efficacement aux simplifications.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron