Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, on vous sent fortement préoccupé par une question de fond…
…et cette question, c’est : est-ce que la démocratie est soluble dans le chaos ?
Rappelons les rétroactes : à l’issue de la Seconde guerre mondiale, les belligérants, vainqueurs en Europe, avaient démontré cette clairvoyance qui consistait à ne pas inutilement punir le peuple allemand, et, au contraire, à l’associer à l’élaboration d’un projet politique de développement économique commun.
Les leçons de la gestion de leur victoire lors de la guerre précédente, en 1918, avaient bien été comprises, vu que cette gestion à la sévérité irréfléchie avait directement engendré la montée du nazisme, qui allait sans grande peine se débarrasser de la trop fragile démocratie portée par la République de WEIMAR.
Donc, en 1945, les Européens ont fait le choix…de l’Europe…
C’est cela. Et la dynamique de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, la CECA, ancêtre de l’UE actuelle, associée à la reconstruction du continent, allait ouvrir une période de prospérité sans précédent. Ces Trente glorieuses, comme on a pu nommer la période de 1945 à 1975, a vu s’installer une société de consommation, de loisirs, et d’insouciance sans précédent en Europe de l’Ouest.
L’économie tournait à plein régime, le chômage était marginal, la retraite était à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes. Et le taux de croissance annuel était quatre fois supérieur à celui de l’avant-guerre immédiat.
Les Français, comme leurs voisins européens, achetaient leur logement, en soignaient l’installation sanitaire, s’équipaient en électroménager, et en fignolaient la décoration. Et, d’inespérées, leurs vacances devenaient obligatoires.
Peu à peu, ils tinrent leurs avantages pour acquis et leurs lubies pour des droits.
Mais cette époque bénie n’allait pas être éternelle…
Non, vous avez raison de le rappeler. Comme assez régulièrement, en 1973, l’Europe se trouve prise en otage par des événements au Proche-Orient sur lesquels elle n’a une influence que très marginale, en l’occurrence cette année-là, la Guerre israélo-arabe. En guise de riposte à l’écrasante victoire israélienne, les pays arabes producteurs de pétrole multiplient par quatre le prix du baril ; rapidement, les industries et stations-services en Europe (et aux États-Unis) manquent de carburant, l’économie ralentit brutalement, avant de remonter lentement la pente…avant un nouveau choc pétrolier six ans plus tard.
Et tout cela ne pouvait manquer d’avoir des conséquences politiques en Europe…
C’était inévitable : bousculés dans leurs (agréables) habitudes, les Européens allaient en faire porter la responsabilité à leurs dirigeants, incapables – assez logiquement – de trouver la parade à des événements extérieurs, hors de leurs prérogatives et possibilités d’intervention.
C’est le début d’un fossé qui se creuse entre les citoyens européens et leur classe politique, et qui aboutit au divorce qui se précise aujourd’hui, à l’issue d’une quarantaine d’années d’incompréhension assez réciproque.
Le constat, c’est que le système politique qui est le nôtre, la démocratie, fait les frais de cette tendance de fond.
Que voulez-vous dire par là ?...
Voyez les résultats des élections, lisez les sondages : partout en Europe, apparaît ce rejet des structures de la démocratie parlementaire et de l’État de droit, des libertés individuelles et des droits de l’Homme.
Parallèlement devient confusément désirable la transition vers un régime autoritaire, perçu comme étant seul à même de guérir du mal-être, fondé ou imaginaire, d’une société déboussolée par ce torrent de contradictions qui déferle nuit et jour sur les réseaux sociaux.
Déjà, la Hongrie et la Slovaquie ont emprunté ce chemin, l’Italie, les Pays-Bas et le Danemark ne sont pas très loin derrière, et les sondages sont particulièrement favorables aux mouvements d’extrême-droite en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et ailleurs.
De l’extérieur, la Russie, la Chine, et désormais les États-Unis gangrénés par le trumpisme, soufflent sur ce brasier.
Alors, oui, la démocratie est bien soluble dans le chaos. Le moment est donc venu pour chacun des citoyens européens de résister – ou alors de continuer à se complaire dans son relatif confort, tant qu’il dure.
En somme, le choix est clair et il exige une réponse immédiate.
Un entretien réalisé par Laurent Pététin.