L'édito européen de Quentin Dickinson

Hongrois rêvé

Photo de Dale Pike sur Unsplash Hongrois rêvé
Photo de Dale Pike sur Unsplash

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, Quentin Dickinson, vous voulez nous entretenir du Hongrois le plus célèbre du moment…

Qui ne connaît en effet Viktor ORBÁN ? Premier ministre de Hongrie dès 1995, il totalise à ce jour dix-neuf années dans ces fonctions. Initialement membre des Jeunesses communistes, avec lesquelles il rompt pour lutter contre la présence des troupes soviétiques dans son pays, il s’impose rapidement en politique comme jeune espoir du centre-droit, après l’effondrement de l’URSS. Juriste, il obtient une bourse de la Fondation SOROS pour passer une année à l’Université d’OXFORD. Il se révèle aussi un habile footballeur amateur.

Voilà le portrait d’un sympathique jeune homme qu’on ne devine pas vraiment derrière le Viktor ORBÁN que nous connaissons aujourd’hui…

On ne saurait mieux dire. C’est que la silhouette de l’athlète qu’il fut s’est fortement alourdie, d’ailleurs – peut-on observer – en parfaite synchronisation avec l’infléchissement progressif de sa ligne politique vers l’extrême-droite. Les traits jadis volontaires de son visage se sont empâtés – un visage aujourd’hui, comme figé dans l’expression d’un brutal mépris.

Pour en venir à son action politique, on a l’impression qu’il s’est donné pour objectif de disloquer de l’intérieur l’Union européenne…

Pas exactement : ce que veut ORBÁN, c’est remodeler l’Europe à l’image de la Hongrie ; il encourage les autres pays de l’UE à lutter contre l’immigration, à renouer avec leurs racines chrétiennes et nationales, à favoriser le réarmement moral et les familles nombreuses, à refuser les oukases des institutions européennes et internationales, à renoncer au soutien à l’Ukraine.

Soit. Mais que dire de ses méthodes de gouvernement ?...

Sans aller dans le détail, l’illibéralisme (terme qu’il choisit pour décrire son action) se révèle à l’usage indissociable de la corruption au bénéfice de sa famille et de ses complices, de la confiscation de la sphère publique, de l’instrumentalisation de la justice et de la police contre ses adversaires politiques, du détournement des fonds européens, du rachat des médias par de fidèles oligarques, de l’intimidation de journalistes trop curieux ou trop critiques, et de la mise en conformité des programmes des universités.

Pour résumer : autant d’atteintes aux valeurs fondamentales et aux règles de l’Union européenne.

Justement, pour l’UE, y a-t-il réellement péril en la demeure ?...

Sans équivoque, la réponse est : oui. Non que l’UE soit menacée par la Hongrie, pays enclavé et à la population vieillissante et en déclin d’à peine plus de 9 millions d’âmes, c’est-à-dire moins que la Belgique – mais il faut bien constater que l’exemple hongrois fait tache d’huile au-delà de ses frontières.

Ainsi, à BRUXELLES, le gouvernement hongrois a-t-il inauguré récemment un centre d’études et de conférences, destiné, sous des dehors d’institut de recherches à haut niveau, à propager au cœur du quartier européen les vertus supposées de l’illibéralisme.

Toujours à BRUXELLES, l’actuel Commissaire européen à la Santé et au Bien-être animal, le Hongrois Olivér VÁRHELYI, est soupçonné de s’être livré à des opérations d’espionnage au sein des institutions européennes lorsqu’il était l’ambassadeur de Hongrie auprès de l’UE.

De même, on assiste à une mainmise totale de gouvernements illibéraux sur le Groupe de VISEGRÁD, qui regroupe la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, et la Hongrie, soit près de 15 % de la population de l’UE. La coordination de leur action peut influencer, voire paralyser, les travaux du Parlement européen comme du Conseil européen.

Enfin, il y a plus inquiétant encore.

A quoi faites-vous allusion ?...

Par le Traité de Trianon en 1920, la Hongrie, qui se trouvait du côté des vaincus, perd une grande partie de son territoire – une tragédie nationale, due à un Occident vindicatif, selon Viktor ORBÁN. Or, il se fait qu’en Roumanie, en Serbie, en Slovaquie, en Ukraine subsistent encore des populations d’origine hongroise et pratiquant la langue magyare. Et, au grand dam de ses voisins, Viktor ORBÁN a offert à ce million 900.000 personnes la nationalité hongroise – et le droit de vote qui en découle.

Et, ces derniers mois, des sites militaires et énergétiques en Transcarpathie ukrainienne, là où vivent nombre de Hongrois d’origine, ont été survolés avec insistance par des drones, sur ordre, dit-on, du service de renseignement hongrois. Vous en conclurez ce que vous voudrez.

Mais Viktor ORBÁN n’est pas éternel…

…la frilosité et la patience des grands pays de l’Union européenne non plus. Si aucune disposition spécifique des traités européens ne prévoit l’exclusion d’un pays-membre, en revanche, deux articles de ces traités permettent de différer le paiement de fonds destinés à un pays en conflit avec la raison d’être de l’UE ; de même, la Cour européenne des Droits de l’Homme se préoccupe en ce moment de la dégradation en Hongrie de ces droits élémentaires.

Cependant, un timide espoir se peut-être fait jour en Hongrie-même : l’année prochaine, en avril, s’y tiendront des élections législatives, et, actuellement, les sondages placent en tête l’opposant Peter MAGYAR.

Mais, si incontestablement Viktor ORBÁN n’a pas dit son dernier mot, sa chute éventuelle priverait le mouvement illibéral de son seul véritable atout en Europe.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.