Mouvement social ou politique, discipline scientifique... l'agroécologie est décidément un terme que tout le monde connait, rejette ou revendique. Dans cette chronique, Edith Le Cadre-Barthélémy, professeure à l'Institut Agro Rennes Angers, décrypte, sur euradio, les différents sens de ce mot.
Aujourd’hui Edith vous souhaitiez aborder un aspect un peu plus personnel ?
Oui en effet Laurence. Lors d’un repas en commun avec des collègues suédois, nous débattions avec passion de nos derniers résultats de recherche et de récents articles parus. Autour de la table étaient présents des entomologues, une écologue microbienne des sols et moi-même, tous travaillent sur les écosystèmes anthropisés et agricoles, souvent en partenariat avec des agriculteurs et agricultrices.
Soudain l’un d’entre nous a posé sa fourchette, et a lancé « vous croyez que ce que l’on fait sert à quelque chose, vous êtes optimistes vous ? ». Autant dire que la température de l’ambiance a sévèrement chuté et c’était sans rapport avec la température extérieure d’Uppsala pourtant à -23°C ce jour-là.
C’est comme si cette personne avait cassé un tabou, car après un moment de silence, presque religieusement un à un les collègues et moi-même avons fait le constat que nous sommes tous pessimistes et démoralisés. Ainsi, nous avions rejoint la cohorte des spécialistes du climat écoeurés par l’absence d’action forte pour soutenir l’adaptation, l’atténuation et la compensation vis à vis du changement climatique.
Est ce en rapport avec les derniers votes de la commission européenne sur les pesticides ?
Oui mais pas seulement. Pour la commission européenne, les votes concernaient deux points relatifs à l’utilisation des pesticides. L’un concernait l’interdiction d’utilisation du glyphosate et l’autre la réduction de l’utilisation des pesticides. Par deux fois, la commission européenne s’est opposée à ces demandes pourtant fondées sur les dangers de ces molécules sur la santé écosystèmes et la biodiversité. A cela s’est ajouté les discussions vis à vis de la sortie des énergies fossiles lors de la COP28, très timorées du point de vue de l’engagement des pays.
Alors aujourd’hui, je suis lasse comme beaucoup de mes collègues sur la situation actuelle. On nous conseille de ne pas faire dans l’alarmisme, le défaitisme, mais nous sommes plusieurs à ne plus supporter qu’on nous prenne pour des doux rêveurs déconnectés du terrain et des réalités, voire comme j’ai pu l’entendre d’être remis en question sur notre rigueur et intégrité scientifique.
La recherche scientifique pose des faits, rien que des faits n’en déplaise à certains lobbys agricoles ou intérêts particuliers.
Aujourd’hui, la responsabilité de la profession agricole et de certains lobbys agricoles vis à vis des modèles conventionnels doit être questionnée. Ce ne sont certes pas les seuls, car nous aussi consommateurs nous devons nous interroger.
Y a t’il un besoin de reformulation des enjeux agricoles ?
Il faut arrêter de parler d’adaptation du modèle agricole mais de transformation du modèle agricole. Cette communication doit s’exercer à tous les niveaux depuis la formation des agriculteurs, ingénieurs et conseillers jusqu’au consommateur, et personnalités politiques en passant par les médias.
Il faut dire que certaines formes d’agroécologie ne sont pas suffisantes. Par exemple certaines formes d’agroécologie reposent beaucoup sur l’utilisation des herbicides ou sur l’étendard du stockage du carbone additionnel dans les sols.
Je prends cet exemple car le piégeage du carbone est évoqué dans la COP 28 et en agroécologie. Je mets immédiatement de côté certaines pseudo-solutions qui n’ont jamais prouvé leur efficacité ni leur mise en application concrète, je vous propose de parler de stockage de carbone dans les sols.
Les sols n’ont pas une capacité illimitée à stocker le carbone, certains ont même une capacité très limitée. Certaines formes d’agroécologie revendiquent une protection des sols par des couverts végétaux, mais c’est au prix de l’utilisation de glyphosate ou de la production de composts qu’on sait insuffisante.
Un article récent (1) a fait la démonstration que le potentiel d'atténuation climatique de la séquestration de SOC est, au mieux, modeste à l'échelle mondiale et spécifique au contexte.
Par ailleurs, ces auteurs ont démontré que le lien entre séquestration de SOC et le rendement des cultures dépend fortement du contexte et que la causalité de ce lien est très incertaine. Par conséquent, le piégeage du SOC n'est certainement pas une option gagnant-gagnant dans toutes les conditions donc planter des arbres ne résoudra pas la question du changement climatique !
Je dirai que pour moi l’exemple le plus frappant est le développement de la filière méthanisation. Les méthaniseurs permettent de produire du biogaz à partir de déchets organiques comme les effluents d’élevage, c’est donc bien commode pour ne pas avoir à réfléchir sur la densité des élevages dans certaines régions ou de réfléchir à une sobriété énergétique
Qu’allez vous faire Edith demain ?
Continuer à faire ce que je fais aujourd’hui avec vous Laurence, communiquer et expliquer sans idéologie ni complaisance car au final à la fin de ce repas, nous avons tous conclu qu’on resterait là en poste et qu’on continuerait inlassablement à documenter, former et proposer des solutions
Merci Edith et rendez-vous à notre prochaine chronique pour continuer à décrypter l’agroécologie !
(1) Moinet GYK, Hijbeek R, van Vuuren DP, Giller KE (2023) Carbon for soils, not soils for carbon. Global Change Biology 29 (9):2384-2398.