Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion Jacques Delors (2024-2025), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Samuel Crooks est étudiant au Département des Études Politiques et de Gouvernance Européennes du Collège d'Europe à Bruges (promotion Delors). Il est titulaire d'un master en Modern European History de l'Université de Cambridge, ainsi que d'un bachelor en Modern and Medieval Languages de l'Université de Cambridge. Il a plusieurs expériences professionnelles en Belgique, ayant fait un stage au Wilfried Martens Centre for European Studies et un stage Schuman au Parlement européen. Il est originaire d’Irlande du Nord avec la double nationalité britannique/irlandaise. Ses domaines d'intérêt au Collège d'Europe incluent les questions de l’éthique et de la transparence dans les institutions européennes et la réforme de l'UE.
Le Brexit est un thème encore polémique en Irlande du Nord. Quelle était la position des partis politiques dans la région pendant et juste après le referendum de 2016 ?
Oui sans aucun doute ! Pour comprendre pourquoi c’était une question polémique il faut considérer le résultat du referendum de 2016 et les traditions politiques en Irlande du Nord. En 2016 une faible majorité au Royaume-Uni a voté pour le Brexit, c’est-à-dire le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, mais à Londres, en Ecosse et en Irlande du Nord les électeurs ont voté de rester dans l’UE. En Irlande du Nord 55,8% ont voté de rester et ici on peut noter une division entre les nationalistes et les unionistes. D'un côté, le camp nationaliste qui aspire à une Irlande unie et qui a voté pour la plupart contre le Brexit voulait rester dans l’UE pour sauvegarder le progrès de l’Accord du Vendredi saint et le processus de paix et donc les relations entre le Royaume Uni y compris l’Irlande du Nord et la République. D’autre part, le camp unioniste qui veut renforcer l’Union avec la Grande-Bretagne afin de rester au Royaume-Uni était plus divisée, avec une faction plus libérale qui voulait rester dans l’UE et une faction avec une position plus dure qui voulait le Brexit pour réduire les relations avec la République.
En somme, tous les partis traditionnels à l'exception du Parti unioniste démocrate étaient officiellement contre le Brexit. Cependant le bon résultat de ce parti pendant l’élection générale de 2017 et le parlement sans majorité mené par le Parti conservateur ont donné au Parti unioniste démocrate plus d’influence sur les négociations-Brexit que l’on attendait. (Le Sinn Féin, premier parti nationaliste, n’est pas présent au parlement de Westminster à cause de sa tradition.)
Quelles difficultés posait l’Irlande du Nord pendant les négociations sur le Brexit en particulier ?
L’Irlande du Nord est la seule partie du Royaume-Uni qui a une frontière terrestre avec l’UE. Pendant les négociations sur le Brexit il fallait donc trouver une solution qui aurait protégé la circulation des marchandises sans installer des infrastructures frontalières. Des telles infrastructures aurait été pratiquement difficile à construire étant donné la nature de la frontière et politiquement difficile à implémenter dû au besoin de respecter l’Accord du Vendredi saint. Finalement, afin d’éviter l’installation des infrastructures frontalières sur l’ile d’Irlande à cause du Brexit, la solution que le gouvernement britannique et la Commission européenne ont trouvé en janvier 2020 juste avant le Brexit est le protocole sur l’Irlande du Nord. Ce protocole met la frontière douanière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans la mer irlandaise entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Par conséquent, le contrôle des douanes est fait dans les ports et pas à la frontière elle-même. Cette solution était acceptable pour les nationalistes mais les unionistes plus durs l’ont considéré comme une sorte de trahison par Westminster parce que l’Irlande du Nord est maintenant séparée du reste du Royaume-Uni par cette frontière douanière.
Est-ce que le protocole sur l’Irlande du Nord a donc résolu la situation ?
D’un point de vue logistique, le protocole a certainement facilité la circulation des marchandises après le Brexit d’une manière beaucoup plus eƯicace qu’une imposition théorique des infrastructures frontalières. Néanmoins la division politique au sujet du Brexit et du protocole se manifeste à travers les positions de plus en plus fixées des partis en Irlande du Nord. La majorité des partis considèrent la situation actuelle comme la meilleure solution mais l’opposition unioniste persiste. Le cadre de Windsor qui a été négocié par Westminster et Bruxelles en 2023 a clarifié la situation administrative et douanière. En fait, l’Irlande du Nord est la seule région du monde qui se trouve dans le marché britannique et le marché unique de l’UE ce qui pourrait être un vrai bienfait pour l’investissement international avec accès à deux marchés très importants. Cependant les avantages potentiels pour l’économie de la région ne sont pas souvent discutés. Plutôt, le discours politique et populaire reste dominé par les obstacles bureaucratiques de la mise en vigueur des nouveaux arrangements et par l’opposition unioniste à la nouvelle situation.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.