Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion Victoria Amelina, des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Anne a étudié le droit irlandais et français à University College Dublin et à la Université de Strasbourg, et poursuit actuellement un Master en Études Politiques et de Gouvernance Européennes au Collège d’Europe.
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer où en est aujourd’hui la situation financière de l’Ukraine ?
La Russie mène une guerre d’agression contre l’Ukraine depuis plus de trois ans et demi, et le pays fait face à une très forte pression financière. L’UE et des partenaires comme les États-Unis ont déjà fourni une aide importante, mais l’Ukraine a encore besoin de soutien pour son budget, sa défense et la reconstruction, estimée à plus de 500 milliards d’euros. C’est aussi essentiel pour sa future adhésion à l’Union européenne.
Pour répondre à ces besoins, l’UE cherche de nouveaux mécanismes de financement, et c’est là qu’Euroclear intervient.
On entend beaucoup parler d’Euroclear en ce moment. Concrètement, qu’est-ce que c’est, et pourquoi est-ce si important dans ce dossier ?
Euroclear est une grande entreprise privée, dont le siège est à Bruxelles, qui gère des transactions financières internationales. Elle sécurise et enregistre les échanges de titres, comme des obligations ou des actions. Son rôle est devenu particulièrement important dans le contexte de la guerre d'agression menée par la Russie en Ukraine car elle détient environ cent quatre-vingt-cinq à deux cents milliards d’euros d’avoirs russes, qui sont bloqués par les sanctions de l’Union européenne.
Vous avez mentionné des avoirs russes “gelés”. Alors pour que tout soit clair, qu’est-ce qu’une sanction exactement, et comment l’Ukraine pourrait-elle bénéficier de ces fonds bloqués ?
Le mot « sanction » est très courant dans le contexte géopolitique actuel, mais que signifie-t-il réellement ? Une sanction est une décision politique et juridique qui limite les activités économiques d’un pays ou d’une personne pour faire respecter le droit international.
Depuis l’invasion russe, l’UE a gelé les avoirs de la Banque centrale de Russie dans des institutions comme Euroclear. Ces avoirs sont des titres et des fonds que la Russie ne peut pas utiliser.
Depuis mi-2024, l’UE utilise les intérêts générés par ces fonds, environ trois milliards d’euros par an, pour aider l’Ukraine. L’UE étudie aussi la possibilité d’utiliser le capital bloqué pour un prêt spécial à l’Ukraine.
La Belgique a émis des réserves sur l’utilisation de ces avoirs pour l’Ukraine. Pourquoi cette position ?
La Belgique accueille Euroclear, donc elle est directement concernée. Lors du Conseil européen d’octobre 2025, la Commission a proposé un prêt garanti par les avoirs russes gelés.
La Belgique a demandé des garanties juridiques solides et un partage des risques avec les autres États membres. Elle veut éviter tout risque pour Euroclear et pour la Belgique, notamment en cas de plainte de la Russie.
Le Conseil européen a donc reporté la décision et demandé à la Commission de présenter des propositions plus détaillées en décembre 2025.
Et du côté de Moscou, comment la Russie a-t-elle réagi à cette idée ?
Il n'est pas surprenant que Moscou ait réagi avec colère à cette proposition, accusant l'UE de « vol » et mettant en garde contre de graves conséquences.
Un Conseil européen est prévu en décembre 2025. Qu’est-ce qu’on peut attendre de cette réunion sur ce sujet ?
Compte tenu de l'absence d'accord sur l'utilisation des avoirs russes gelés lors du Conseil européen d'octobre 2025, la réunion du Conseil européen de décembre 2025 jouera un rôle essentiel dans la détermination de l'avenir du financement de l'Ukraine par l'UE.
La Commission européenne devrait présenter ses propositions pour un cadre de financement à long terme de l'Ukraine. Celui-ci pourrait inclure des options de soutien structuré qui soient juridiquement solides, transparentes et conformes aux obligations internationales. Les dirigeants de l'UE évalueront probablement ces propositions, en accordant une attention particulière aux mécanismes de partage des risques, au rôle d'Euroclear et à l'équilibre entre le soutien financier immédiat et la viabilité à long terme.
Et si on se projette un peu, à quoi pourrait ressembler le financement de l’Ukraine en 2026 ?
Pour l’instant, la guerre continue, donc l’Ukraine aura encore besoin d’un soutien financier important en 2026. L’Union européenne veut mettre en place un système stable et prévisible, avec des engagements sur plusieurs années, pour financer le budget ukrainien, sa défense et sa reconstruction. L’idée est d’assurer un soutien durable, que ce soit grâce aux fonds européens classiques ou, si les conditions juridiques le permettent, à une partie des avoirs russes gelés.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.