Chaque semaine, Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management à Angers nous fait part de son bloc notes, et nous renseigne sur les grands sujets européens.
Aujourd'hui, vous nous proposez un édito au conditionnel – ça promet !
Le conditionnel est effectivement de mise pour répondre à une question hypothétique du genre « Si j'avais 20 ans aujourd'hui, quelle serait mon attitude face au cataclysme climatique qui s'annonce ? »
Serais-je paralysé, écrasé par l'ampleur de ce défi inouï ? Serais-je engagé dans un mouvement politique avec l'espoir de faire changer les attitudes et les lois ? Ou serais-je tenté de jeter de la purée sur un tableau de Monet et de coller ensuite ma main sur le mur, histoire de réveiller les consciences par des actions chocs ?
Tel que je vous connais aujourd'hui, vous seriez d'abord dans l'analyse.
Peut-être bien. Cela me ressemblerait, aujourd'hui comme hier.
Il y a 40 ans, cette analyse m'a amené à voter pour ce nouveau petit parti qui se nommait « Die Grünen ». Cela paraissait être une option prometteuse, radicalement novatrice, mais fermement dans le cadre démocratique. Mon analyse débouchait sur une note d'espoir.
Aujourd'hui, l'analyse des options disponibles me laisserait plutôt déboussolé.
En agrégeant les connaissances désormais disponibles à la fois sur l'ampleur du bouleversement à venir, sur les conséquences qu'il engendra, sur l'urgence du changement nécessaire et sur l'insuffisance de la volonté générale pour le réaliser, j'arriverais sans doute à une conclusion très similaire de celle des jeunes gens qui se mettent à vandaliser, quoique de manière symbolique et sans dégâts réels, des œuvres d'art dans les musées.
Dois-je comprendre que vous auriez perdu confiance en la capacité de la démocratie à répondre de manière adéquate au défi climatique ?
Le « boomer » de 60 ans devant votre microphone considère la démocratie comme un bien précieux, à préserver coûte que coûte.
Mais s'il avait 20 ans aujourd'hui, ce ne serait peut-être pas son plus grand souci. Au contraire : c'est avec un certain regret, mais en haussant les épaules, qu'il tirerait la conclusion que les leaders démocratiques n'ont pas le courage d'imposer à leurs électeurs la mutation qu'ils savent pourtant indispensable, et que les citoyens leur donnent raison en pénalisant aux urnes toute mise en cause du modèle de croissance et du mode de vie consumériste.
Il serait donc déjà désillusionné donc de la politique, le jeune homme ?
Eh bien, contrairement à moi en 1982, il aurait quatre décennies de plus d'action et d'inaction politique dans le rétroviseur. Son évaluation des résultats risquerait de ne pas être très positif. Oserait-on lui reprocher de conclure à un échec collectif ?
Résultat : il se verrait confronté avec un choix difficile entre, d'un côté, un repli sur soi – c'est-à-dire une vie délibérément frugale, choisie en déconnectant le concept même du bien-être des injonctions de surconsommation du capitalisme – et, de l'autre côté, un impératif moral d'action collective qui tendrait inévitablement vers une forme de désobéissance civile.
Dans une telle configuration, quitte à choisir peut-être la première option, comment ne pourrait-il pas avoir de la sympathie pour ceux qui, en tant qu’activistes, s’activent, pour l'instant de manière non-violente, de « Just stop oil » à « Extinction Rebellion » en passant par « Letzte Generation ».
Même si certains responsables politiques dégainent vite l'arme calomnieuse de l'étiquette « écoterrorisme ». Ces dirigeants seraient bien avisés de réfléchir avant de parler, car de telles accusations pourraient – dernier conditionnel de cette chronique – se muer rapidement en prophétie auto-réalisatrice.
Je vous en parlerai – futur simple ! – la semaine prochaine.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.