Le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers, tous les vendredis sur les ondes d'euradio.
En France, on s’approche de la fin d’un long tunnel électoral, l’occasion d’observer sur la durée les hommes et les femmes politiques dans la lutte pour le pouvoir.
Entre les primaires de l’automne 2021 et l’entre-deux-tours des législatives, il est vrai que nos écrans et nos lectures ont été saturés par un grand nombre d’acteurs politiques en campagne.
Quel spectacle !
Ne vous êtes-vous jamais demandé, durant votre carrière journalistique, devant vos interlocuteurs – et de plus en plus d’interlocutrices – politiques, pourquoi ils s’imposent tout cela, cet investissement de tout instant qui absorbe leurs vies, les combats rhétoriques souvent blessants, les réunions interminables, les petites intrigues au sein de leur propre mouvement, le risque sur le plan budgétaire, les pièges tendus par certains médias, les couleuvres à avaler, la méfiance grandissante du public à leur égard, l’éternelle accusation d’être « déconnectés », sans oublier la pression de concilier tout cela avec une vie familiale ?
Ah, si, c’est forcément une question qui se pose de manière récurrente.
Et la réponse est, comme beaucoup de facettes de notre vie démocratique, assez ambivalente.
D’abord, et au risque de paraître naïf aux oreilles de certains auditeurs, j’ai toujours tendance appliquer à nos élus la présomption de l’idéalisme. J’ai toujours trouvé, que ce soit dans mes rencontres avec des acteurs politiques à Bruxelles ou, plus récemment, dans une petite série d’entretiens approfondis avec des députés de la majorité actuelle en France, qu’il y a dans leur motivation une dose d’idéalisme autrement plus importante que la rengaine ô combien facile du « tous pourri » ne pourrait admettre. S’engager en politique pour être au service de la société, cela n’a rien de ringard, ni même de rare. Bien au contraire.
Mais il y a aussi, bien sûr, l’égo. C’est grisant d’être quelqu’un d’« important ». C’est euphorisant de gagner une élection, d’être le meilleur dans une compétition. Et c’est gratifiant d’être sollicité pour résoudre des problèmes, représenter un collectif, ou représenter des revendications. L’attitude des autres change à l’égard de leur élu, et quel que soit le niveau de son exercice, il ou elle a tendance à se sentir, assez sincèrement, indispensable. Pour beaucoup, il est difficile de raccrocher. Même pour ceux qui sont loin d’être des « politiques professionnels ».
Parmi les trois députés que j’ai interviewés récemment, tous les trois issus de la société civile et conquis par l’ouverture incarnée par Emmanuel Macron en 2017, deux sont bien partis pour rempiler, alors qu’elles ne comptaient faire qu’un seul mandat initialement. Il n’y a que le troisième qui se détourne de la politique.
Puis il y a le pouvoir. L’envie d’obtenir le pouvoir, même limité, c’est une vraie motivation.
C’est sûr, et je dois vous avouer que je n’ai jamais compris pourquoi l’envie du pouvoir se voyait attribuer généralement une connotation négative. La démocratie a besoin d’individus poussés par une envie de gagner le pouvoir dans le but d’imposer leurs idées. Bien sûr, elle doit encadrer cette envie, elle doit la contenir par des arrangements institutionnels et procéduraux, et elle doit mettre des limites aux moyens dont cette envie serait tentée de se servir.
On sait qu’elle le fait de manière imparfaite, et qu’il est impératif de rester vigilant en permanence sur l’érosion des normes, des procédures et des contre-pouvoirs. Alexis de Toqueville le disait déjà, en la découvrant il y a bientôt 200 ans. N’empêche, dans l’absolu, la démocratie reste le seul régime politique qui a réussi à canaliser, tant bien que mal, l’envie du pouvoir en une force motrice plus positive que dangereuse.
Mieux dans certains pays que d’autres !
C’est vrai, mais les questions essentielles au sujet de la motivation des hommes et des femmes politiques se posent partout, même dans les démocraties souvent considérées comme modèles. Il suffit de regarder les quatre saisons de la formidable série télé Borgen, les trois premières toujours disponibles sur arte.tv, la quatrième- dix ans plus tard – sur Netflix. Si vous ne l’avez pas vue, faites un rattrapage cet été. C’est un condensé de tous ces questionnements sur l’envie du pouvoir, intelligent, crédible, passionnant.
Et c’est toujours rassurant de voir qu’on n’a pas le monopole du psychodrame en France.
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