Le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers, tous les vendredis sur les ondes d'euradio.
Ceci est votre quarantième et dernier édito de la saison, Albrecht !
Le compte est bon, mais quelle saison mouvementée ! Elle a commencé avec la fin du règne d’Angela Merkel, et à relire ma chronique du 23 septembre intitulée « incertitudes allemandes », j’ai vu plus juste que je n’aurais pensé quant aux bouleversements à venir.
Et depuis février, elle est dominée par les nombreuses conséquences de l’invasion russe en Ukraine. Jamais, je n’aurais pensé en septembre dernier être amené à consacrer autant de chroniques sur les thématiques de « guerre » et de « paix ». Et ce n’est que logique que ce dernier édito avant l’été s’y penche aussi. D’autant que j’ai eu l’occasion d’assister, pas plus tard qu’hier, à un petit atelier de recherche très intéressant sur la paix. C’était à l’Université du Mans, et c’était passionnant.
Dites-nous-en davantage : elle dit quoi sur la paix, la recherche académique ?
Dans son exposé d’introduction, Louisa Guy, dont la thèse de doctorat actuellement en cours porte sur la paix dans la politique étrangère en France et en Allemagne, a rappelé un élément de définition qui a fini par servir de fil rouge pour la suite : la distinction entre la « paix positive » et la « paix négative », que l’on doit au politologue et philosophe norvégien Johan Galtung.
Si la dernière se caractérise par la simple absence de guerre, la première présuppose l’existence d’institutions susceptibles de consolider la paix et de combattre les violences structurelles de la société en travaillant pour davantage d’équité, de justice, et de développement.
C’est une distinction efficace, qui permet par exemple, de mettre en perspective l’actuel déchirement de la société allemande au sujet de l’attitude à adopter envers la guerre en Ukraine, que j’ai essayé d’analyser il y a quelques semaines sur votre antenne (voir aussi ici).
Est-ce une définition qui est pris en considération par nos services de diplomatie, d’affaires étrangères et de défense ?
Pas tant que cela. Dans ses interviews, Louisa Guy a d’ailleurs constaté que dans les ministères français concernés, la « paix » n’est guère conceptualisée. On préfère une approche axée sur la gestion concrète « de crises et de conflits », avec un focus sur les outils militaires dont on dispose. En Allemagne, dû à l’héritage historique du XXème siècle et les « responsabilités » qui en découlent, on fait davantage appel à des outils civiques, aussi dans la prévention des conflits.
Ce qui était particulièrement intéressant à relever, c’est le caractère interdisciplinaire de la paix comme objet d’études. Anne Baillot, professeur en études germaniques au Mans, nous l’a rappelé en présentant son projet de recherche actuel dans le domaine littéraire. A l’aide de méthodes des humanités numériques, elle tente d’analyser les écrits personnels en temps de guerre et de paix – toujours dans le contexte historique franco-allemand – et d’identifier l’émotionnalité de la haine dans l’écriture ordinaire, loin des canons littéraires. En épluchant ces écrits subjectifs sur les événements politiques, et en cherchant à comprendre à quel point ils sont manipulés par les discours officiels, elle en est venue à retourner la question et à se demander en quoi la paix est révélatrice plutôt que de toujours chercher du côté de la guerre.
Projet drôlement ambitieux, gros travail en perspective, à suivre !
Puis, on a fait connaissance avec l’ « Institut pour la Paix ».
Ah bon, il y a un vrai institut universitaire sur la paix qui existe en France ?
C’est l’historien Thomas Hippler, en poste à l’Université de Normandie à Caen, qui nous en a parlé, après avoir présenté un vaste panorama de l’histoire, depuis la Seconde guerre mondiale, de la recherche internationale sur la paix, avec ses différentes écoles de pensée.
Le nouvel institut qu’il a évoqué est pour l’instant davantage un réseau, sous forme de structure associative, qui a pour but de créer un champ académique et faire le lien entre une approche scientifique de la paix et les instances gouvernementales et la société civile.
C’est un début, et c’est prometteur, surtout dans le cas où d’autres initiatives de ce type – locales ou en réseau – s’y joindraient. Je ne serais pas surpris, et les collègues présents étaient d’accord sur ce point, si les interrogations académiques sur la paix trouvaient, dans les années qui viennent, une place plus importante parmi les appels à projets dans les programmes de recherche européens.
Nous comptons sur vous pour nous tenir au courant !
Et nous comptons sur vous à la rentrée en septembre.
Toutes les éditos d'Albrecht Sonntag sont à retrouver juste ici