C'est la rentrée ! Nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Rentrée anticipée de quelques jours, quand avant la reprise officielle, il y a les élections en Allemagne, le 26 septembre. Elections qui méritent bien une petite série d’éclairages.
Entièrement d’accord. Rappelons rapidement que contrairement à la France, où au printemps prochain, nous irons voter quatre dimanches pour avoir un chef d’Etat et une majorité parlementaire dont sera issu le gouvernement, en Allemagne, on se déplace une seule fois, et on connaît, en principe, aussitôt son nouveau chef de gouvernement. Pour ensuite attendre un long moment qu’une coalition stable veuille bien sortir du scrutin proportionnel.
Le monde à l’envers, juste de l’autre côté du Rhin !
Qu’allez-vous donc nous proposer cette semaine ?
Pas besoin cette fois-ci d’approfondir le système électoral ou de passer les candidats en revue. Les médias français, en général, s’en chargent déjà, d’autant qu’ils sont tous curieux de savoir qui va succéder à Angela Merkel.
Non, ce que je vous propose, c’est un petit cycle de regards historiques mis en perspective à l’aune de ces élections. On va parler d’espoirs, de miracles, mais aussi d’incertitudes et quelques lâchetés.
Pour commencer, je vous emmène 75 ans en arrière, en septembre 1946. On est à Stuttgart, une ville en ruines dans laquelle, un peu miraculeusement, l’Opéra est resté debout et intact. C’est cette salle que choisit le ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, James F. Byrnes, pour donner un discours d’abord intitulé sobrement « Réaffirmation sur la politique concernant l’Allemagne », mais rapidement nommé « Speech of Hope » - « Discours de l’espoir » - par ceux auxquels il était adressé.
Tout le monde connaît le Plan Marshall, lancé deux ans plus tard par le successeur de Monsieur Byrnes, le général George Marshall, mais en fait, et du coup, le discours de l’espoir de 1946 n’est guère commémoré. Ce fut pourtant un moment décisif, pour l’Allemagne et pour l’Europe.
C’est vrai qu’il n’est pas très connu. Quel était donc son message et son objectif ?
Il s’agissait en fait d’un genre d’officialisation d’un changement de cap. Dans le Conseil de contrôle des quatre alliés qui occupaient l’Allemagne vaincue et morcelée en quatre zones, les dissensions entre l’Union soviétique et les trois puissances de l’Ouest étaient déjà devenus insurmontables.
Les Etats-Unis avaient favorisé une solution qui permette d’éviter une division durable, mais à peine une année après la fin de la guerre, ils furent obligés de se rendre à l’évidence que ce n’était plus envisageable. En même temps, la situation humanitaire à travers le pays était telle qu’il fallait choisir vite : soit on abandonnait l’Allemagne à son sort, quitte à laisser l’Union soviétique mettre la main dessus, soit on mettait en place un vaste programme d’aide pour faire des trois zones occidentales un rempart contre le communisme stalinien.
Après, le Plan Marshall n’était rien d’autre que le « quoi qui’il en coûte » de l’époque.
Le « discours de l’espoir » lui-même était d’abord un sermon rappelant que si la situation des Allemands était dramatique, ils n’avaient qu’à se prendre à eux-mêmes. En revanche, ils pouvaient compter sur les Américains, je cite : « Je ne veux aucun malentendu. Nous ne nous déroberons pas à notre devoir. Nous ne nous retirerons pas. Nous resterons ici. »
Ah, c’est le genre de discours que beaucoup d’Afghans auraient voulu entendre cet été !
Ce qui, en rétrospective, ne fait que confirmer que l’Allemagne de l’après-guerre – du moins à l’Ouest – a eu une chance énorme. Et avec elle, toute l’Europe occidentale, car, comme se souvenait Lucius Clay, le gouverneur militaire de la zone américaine, plus tard
« il était clair que si nous laissions un vide économique en Allemagne, l’Europe de l’Ouest ne remonterait jamais la pente. En même temps, il n’était pas question de développer l’Allemagne plus vite que le reste de l’Europe ».
Le Plan Marshall apparaît comme la réponse logique à ce dilemme. Tout comme le Plan Schuman en 1950.
Du discours de James Byrnes, les Allemands de l’Ouest retenaient surtout trois messages :
- l’unification annoncée des trois zones occidentales avec l’objectif de « mettre fin à l’aggravation inutile des difficultés économiques » ;
- la perspective d’obtenir « le droit de gérer eux-mêmes leurs affaires dès qu’ils seront en mesure de le faire de manière démocratique » ;
- et surtout la promesse qu’ils allaient avoir droit à une chance de recommencer à zéro et de s’en sortir en travaillant dur, tout en étant protégés du règne soviétique.
James Byrnes, un homme assez ambigu par ailleurs, démocrate mais aussi ségrégationniste, conclut son discours avec l’engagement que « le peuple américain veut aider le peuple allemand de regagner une place honorable parmi les nations libres et pacifiques ».
Promesse tenue et pari gagné, de toute évidence ! La suite demain, avec un miracle d’une autre nature.
Laurence Aubron - Albrecht Sonntag
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