Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

Libéré des gazouillis

Libéré des gazouillis

Chaque semaine, Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management à Angers nous fait part de son bloc-notes, et nous renseigne sur les grands sujets européens.

Quoi de neuf en 2023 ? Nous avons bien pris note de votre résolution de ne plus prendre l’avion, en avez-vous d’autres à partager dans ce genre ?

De bonnes résolutions en début d’année, on n’en prend sans doute jamais assez, sachant qu’on n’arrivera pas forcément à les réaliser toutes. 

Mais, plaisanterie à part, oui, il y en a une autre. Et elle concerne les réseaux sociaux.

Nous nous sommes effectivement déjà aperçus que vous n’êtes plus sur Twitter. Mais cela ne date pas d’hier.

Non, ça date déjà du printemps dernier, bien avant la reprise de Twitter par Elon Musk en automne. Et si les décisions de ce dernier et les conséquences qu’elles auront à terme n’ont fait que me conforter dans ma résolution, elles n’y ont pas joué de rôle.

Quitter Twitter n’a été qu’un pas supplémentaire dans un processus d’affranchissement, ou de libération si vous préférez.

Libération de quoi au juste ?

De la tyrannie des réseaux sociaux. Et quand je dis « tyrannie », je ne parle même pas des sottises navrantes et des polémiques stériles qu’on y rencontre, des mensonges flagrants et des demi-vérités toxiques, de la polarisation idéologique et des insultes gratuites, sans même parler des campagnes de harcèlement et de la violence des « shit-storms ».

Tout cela existait déjà du temps de la presse écrite, vous vous souvenez : ces grands dépliants encombrant en papier qu’on appelait « journal », qu’on achetait au kiosque et feuilletait dans le bus. Internet a simplement abaissé les barrières à l’entrée et multiplié les capacités de diffusion. Il s’agit donc d’une simple différence de degré, pas de nature.

La vraie tyrannie des réseaux sociaux est ailleurs. Elle est dans l’immédiateté imposée, dans la logique des « like » et des « followers », dans l’appel irrésistible des notifications et la réduction dramatique de la capacité de concentration de ses usagers (c’est-à-dire quasiment tout le monde).

En dehors de Twitter, avez-vous quitté d’autres réseaux ?

Comme je n’avais aucun compte personnel sur Facebook et aucune envie de faire plus ample connaissance avec Instagram, Snapchat, Telegram, et certainement pas TikTok, ce n’était pas bien compliqué de mettre fin à l’expérience Twitter, engagée il y a une dizaine d’années sous la pression de – je vous le donne en mille – l’Union européenne ! Car obtenir un financement pour un projet de recherche n’est plus possible sans promettre monts et merveilles en matière de dissémination par les réseaux sociaux.

Mais puisque vous me posez la question, oui, j’ai aussi désinstallé WhatsApp, après m’être désinscrit des groupes dans lesquels je figurais. 

Même plus sur WhatsApp ? Mais c’est tout de même un réseau très pratique, vous ne trouvez pas ? Quel est le problème, au juste ?

WhatsApp est un mix plus redoutable qu’il ne semble. Sous couvert d’échanges informels, c’est un environnement communicatif qui impose un cadre très rigide composé de plusieurs obligations simultanées : l’obligation de la réactivité sans faille, l’obligation de la répartie si possible originale, non sans humour, assortie des émojis les plus adéquates, le tout sous une pression terrible de conformisme du groupe social en question qui registre toute déviance de ses codes non-dits. 

Je conçois aisément que WhatsApp puisse faciliter l’organisation de certains groupes, en faisant circuler une information de dernière minute concernant tout le monde. Je constate juste que le prix à payer est une pollution quotidienne faite de messages souvent sans importance et de sollicitation permanente.

Je conçois tout aussi aisément que Twitter, et même Facebook, puissent être des canaux intéressants pour informer un large public d’un événement, d’une publication. C’est d’ailleurs cette fonction qui m’a servi à rationaliser pendant des années une dissonance cognitive que je trouvais de plus en plus pesante.

On vous sent libéré, c’est incontestable. On ne vous verra donc plus sur Twitter ou d’autres réseaux du même genre, mais on pourra compter sur vous sur notre antenne ?

Oui, car c’est autrement plus stimulant de devoir construire un argument qu’on veut cohérent et le couler dans une chronique censée faire réfléchir. La contrepartie est qu’il faudra, contrairement au défilement d’émojis et de tweets, écouter ou lire attentivement pendant quelques minutes. 

Cela ne nous fait pas peur. Bien au contraire : c’est pour ça qu’on aime la radio !

Entretien réalisé par Cécile Dauguet.