Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Aujourd’hui, vous vous interrogez sur l’efficacité des sanctions économiques prononcées par l’Union européenne.
Comme tout le monde ! Car il y a de quoi s’interroger sur l’impact réel de ces « mesures restrictives » – pour respecter la terminologie officielle bruxelloise. Que peuvent-elles réellement face à la violation des droits humains par des régimes autoritaires sans scrupules ? Prenez les sanctions prononcées, certes avec une réactivité remarquable, contre le Bélarus d’Alexandre Lukachenko, suite à l’enlèvement aussi spectaculaire que cynique du jeune dissident Roman Protassevitch. D’un côté, on sent qu’il faut réagir, que l’Europe ne peut rester les bras croisés, et on se félicite qu’elle arrive même à le faire de manière unanime. De l’autre côté, on n’a pas l’impression que cela changera quoi que ce soit à la situation de la population bélarusse, qui se bat depuis bientôt un an contre un dictateur qui a perdu toute légitimité, mais qui ne semble pas près de perdre son pouvoir. Et qui est soutenu par son voisin russe, lui-même la cible de sanctions économiques massives depuis l’annexion de la Crimée il y a sept ans déjà.
Rappelez-nous brièvement en quoi ces sanctions consistent habituellement ?
La panoplie est assez limitée. Il y a les sanctions diplomatiques qui peuvent aller de l’interdiction d’admission d’individus clairement identifiés sur le territoire européen à l’interruption pure et simple des relations diplomatiques. Puis il y a les sanctions économiques, comme le gel d’avoirs financiers ou l’interdiction de transactions financières. Pour certains Etats, cela peut aller jusqu’à des embargos sévères sur certains biens ou services.
Une trentaine de pays et d’organisations sont actuellement frappés par des mesures restrictives diverses et variées, et le Conseil Européen a même eu la prévoyance de mettre une carte mondiale des sanctions européennes en ligne pour qu’on s’y retrouve entre les causes et les natures des sanctions.
Officiellement, les sanctions visent à changer le comportement des Etats ciblés, tout en évitant, autant que possible, de ne pas pénaliser la population civile concernée. Mais il faut bien se rendre à l’évidence : les populations semblent plus vulnérables que les régimes.
Si les sanctions n’ont que peu d’effet, pourquoi s’obstine-t-on à en prononcer ?
Bonne question. On vous retorquera que « l’intérêt des sanctions ne réside pas seulement dans leur efficacité », comme le rappelle à juste titre la chercheuse Ramona Bloj dans une note synthétique toute récente (et très utile) pour la Fondation Robert Schuman. Il est vrai que c’est aussi un moyen de montrer son indignation collective, de prendre position vis-à-vis d’un acte jugé inadmissible.
Et les sanctions contribuent à faire avancer l’émergence d’une politique étrangère commune de l’Union européenne. Elles lui permettent d’agir plutôt que de se borner à observer et à condamner.
Et tenez-vous bien, si l’on en croit l’une des meilleures spécialistes sur la question, Clara Portela, analyste à l’Institut d'études de sécurité de l'Union européenne, les sanctions ne sont pas si inefficaces que cela. Dans l’immédiat, leur impact est d’abord symbolique. Mais sur la durée, elles peuvent vraiment faire mal au portemonnaie. Citant le cas de la Russie, elle rappelle que le but des sanctions n’était pas l’écroulement de l’économie russe, mais l’imposition d’un frein durable à sa croissance, afin d’éroder la popularité du gouvernement en place. Et en renvoyant vers les cas de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid ou de l’Iran, dans la préparation des négociations sur le nucléaire, elle rappelle que cela prend du temps.
En attendant, les sanctions nous font mal aussi, car elles limitent nos propres exportations vers les pays en question. Ce n’est pas négligeable.
Vous avez raison. Une bonne part de la richesse de l’Union européenne dépend directement de nos capacités d’exportation. Et si des sanctions contre le Liban ou la Libye ne vont pas nous ruiner, c’est autrement plus délicat avec la Russie ou la Chine.
La vraie question qu’il faut se poser est : y a-t-il des alternatives ? Je crains que non. Pour l’instant, l’Europe est bien condamnée à réagir avec ses moyens, qui sont d’abord diplomatiques et économiques. Au risque de paraître impuissante dans un premier temps, et quitte à se faire mal. C’est une question de crédibilité.
Laurence Aubron - Albrecht Sonntag
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Photo de Guillaume Périgois de Unsplash