Comme toutes les semaines nous retrouvons le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Aujourd’hui, vous nous proposez une réflexion sur les systèmes électoraux. Y a-t-il une raison particulière à cela ?
Oui, c’est la faute à la Maison de l’Europe d’Angers et du Maine-et-Loire qui m’a demandé de proposer un « café européen » sur la question de savoir si le processus électoral allemand, de la campagne jusqu’à la mise en place du gouvernement, disait quelque chose sur la société allemande ou si c’était juste une contingence historique, choisie à un moment donné et poursuivie dans cette inertie qui caractérise les institutions politiques.
Et quelle a été votre réponse à cette question ?
Ma réponse n’était pas allemande ni française, elle était… normande ! D’un côté, un système électoral répond aux besoins propres à une société particulière, mais de l’autre côté, le système, ses procédures et ses effets secondaires ont eux-mêmes un impact sur l’évolution de la société en question. Peut-être davantage qu’on ne pense.
Le système allemand est une excellente illustration de cette réciprocité entre cause et effet.
Dans ma petite causerie du soir à la Maison de l’Europe, j’ai essayé de démontrer que le système allemand, dans son équilibre complexe entre le vote direct pour un candidat dans sa circonscription locale et la parfaite représentation proportionnelle des forces au sein du Parlement répond à plusieurs impératifs non-négociables du moment clé de l’après-guerre. En fait, il répond à des peurs partagées.
Peur du centralisme (d’où les listes régionales), peur d’une fragmentation excessive (d’où la clause restrictive des 5% des votes pour entrer au parlement), peur d’un manque de légitimité du système comme cela avait été le cas dans la République de Weimar.
On a donc opté pour un système permettant de mitiger ces risques tout en garantissant un réel pluralisme d’opinion.
Ce qui frappe surtout les observateurs extérieurs, c’est la modération du ton qui semble régner pendant une campagne électorale. Elle est parfois décrite comme « ennuyeuse à mourir ».
Il est vrai que dans les sociétés où les affrontements frontaux et la surenchère rhétorique sont valorisés, ce calme relatif peut détonner. Mais on aurait bien tort d’en conclure hâtivement à une quelconque « mentalité nationale ». Au contraire : sur la durée, c’est le système qui éduque les acteurs !
Sachant que personne ne pourra gouverner seul, il vaut mieux faire preuve de retenue dans son vocabulaire et préserver un minimum de courtoisie pour ceux avec lesquels on risque de se trouver enfermé dans une pièce pendant des semaines pour formuler péniblement un contrat de coalition (comme l’a d’ailleurs joliment résumé Marie-Sixte Imbert sur votre antenne cette semaine).
Lors de notre soirée à la Maison de l’Europe, on a même rigolé en considérant que la pondération et la sobriété des débats entre candidats correspondait aussi à la langue allemande, vu que le sens profond d’une phrase n’apparaît souvent qu’à la fin. Comment interrompre avec indignation son interlocuteur s’il faut attendre la fin laborieuse d’une phrase à tiroirs avant d’avoir compris ce qu’il a dit ?
Plus sérieusement : ce ton modéré bénéficie surtout grandement de l’absence d’un écosystème de chaînes d’information permanente toujours promptes à hystériser les propos et d’un paysage médiatique non-centralisé et assez traditionnaliste. Sans oublier certains tabous hérités d’une mémoire qui continue à peser lourd.
Le cas allemand, n’est-il pas presque trop particulier ? Le besoin de tout reconstruire à zéro après la Seconde guerre mondiale, n’était-ce pas une chance énorme ?
Si, de toute évidence. Pour commencer, l’Allemagne a été ultra-chanceuse d’avoir les occupants qu’elle a eus. Les Américains lui ont enseigné la démocratie et le fédéralisme – cela ne s’appelait pas « rééducation » pour rien – les Anglais lui ont légué un système médiatique de qualité (qui s’est avéré meilleur que le leur !), et les Français leur ont tendu la main pour consolider la stabilité de leur république fragile dans une communauté européenne.
Sa plus grande chance aujourd’hui, à l’époque de la polarisation idéologique et haineuse, des politiques identitaires intransigeantes, des règlements de compte permanents sur les réseaux sociaux, c’est la chance d’être … ennuyeuse.
La France n’a pas eu cette chance. Durant la campagne électorale qui se dessine, on sera tenté de lui souhaiter un peu plus d’ennui. Mais n’oubliez pas qu’en France aussi, c’est le système qui éduque les acteurs, et c’est la présidentielle qui façonne le système.
Notez-le sur un post-it, collez-le sur votre frigo, observez le comportement des acteurs durant les mois à venir. Je suis certain que vous arriverez à la conclusion qu’un peu d’ennui systémique ferait du bien à tout le monde.
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