"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.
Sakina, on sait aujourd’hui que la biodiversité marine est menacée, à la fois par les activités humaines et par le changement climatique, mais sait-on comment la protéger ?
Et bien oui, car plusieurs solutions ont été proposées, en particulier par l’ipbes, la « Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques », parfois aussi appelée le GIEC de la biodiversité et dont je vous ai déjà parlé.
La première solution pour protéger la biodiversité marine est de diminuer les pressions que nous exerçons sur les écosystèmes marins, comme par exemple réduire les pollutions ou diminuer la pêche, en particulier la pêche industrielle. Il faut aussi diminuer nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’impact du changement climatique sur nos océans.
La deuxième solution est de définir des aires marines protégées et d’augmenter le financement de la conservation des océans.
Sakina, qu’est-ce qu’une aire marine protégée ?
Sur le papier, une aire marine protégée est une zone de l’océan qui est délimitée géographiquement et que les états disent vouloir protéger. Pour l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, une aire marine protégée « un espace géographique clairement défini, reconnu, dédié et géré, par des moyens juridiques ou d’autres moyens efficaces, pour parvenir à la conservation à long terme de la nature et des services écosystémiques et valeurs culturelles qui y sont associés. » Toujours selon l’UICN, une aire marine protégée ne le serait pas si des activités extractives industrielles, y compris la pêche industrielle, y sont autorisées. Donc selon la définition de l’IUCN, dans une aire marine protégée, la pêche artisanale pourrait être autorisée mais pas la pêche industrielle.
Quelle surface représentent les aires marines protégées en France ?
On entend souvent plus de 33 % des zones maritimes françaises sont classées comme des "aires maritimes protégées", sachant que nous sommes la deuxième puissance maritime au monde après les Etats-Unis d’Amériques, avec un domaine maritime de 10,7 millions de km2, dont 97% est ultra-marin, cela peut sembler beaucoup. D’ailleurs, l’objectif des nations unies est justement d’atteindre 30% d’aires marines protégées en 2030. Malheureusement, seulement une infime fraction est réellement « protégée ».
C’est-à-dire ?
Comme il n’existe pas de définition précise et stricte de la manière dont une « aire marine protégée » devrait être « protégée », chaque état peut choisir d’appeler n’importe quelle zone maritime une « aire marine protégée » sans forcément s’assurer légalement que la zone est vraiment protégée des activités humaines. Ainsi, on peut définir 8 types d’aires marines protégées selon les degrés de régulation des activités qui peuvent y être pratiquées : selon si les humains sont autorisés à y pénétrer ou à y prélever la biodiversité, ou selon les réglementations liées à la pêche, à la navigation, à la plongée, au tourisme, à l’extraction de sable, ou tout autre usage.
En Méditerranée par exemple, une étude parue en 2020 a montré que, même si 6% de la Mer Méditerranée était qualifiée de « protégée », 95% de ces aires marines protégées n’avaient pas de régulations plus fortes que les zones non protégées. En réalité, seulement 0,23% de la Mer Méditerranée est entièrement ou extrêmement protégée. Et la qualité de la protection de ces aires marines protégée est très variable d’un pays à un autre, ou d’une zone géographique à une autre.
Par exemple, en France, on sait que la pêche industrielle a lieu dans certaines aires marines dites « protégées » alors que ce mode de pêche est très destructeur. A l’échelle globale, l’Atlas de Protection Marine indique que seulement 2,4% de l’océan est strictement ou intégralement protégé. Selon une étude de 2021, seul 1,6 % des territoires marins français sont des aires marines totalement ou hautement protégées, et ces zones sont surtout situées en Nouvelle-Calédonie et dans les Iles subantarctiques des Terres Australes Françaises. Et parmi les eaux françaises de l’océan Atlantique, de la Manche, et de la Mer du Nord, seulement 0,005% sont réellement protégées.
Sakina, les aires marines fortement protégées sont-elles efficaces ?
Oui, on sait que la gestion efficace de réseaux d’aires marines fortement protégées permet de sauvegarder la biodiversité.
On a aussi démontré que les zones alentours bénéficiaient de la présence de ces aires marines protégées, comme si la biodiversité protégée « débordait » et augmentait dans les zones adjacentes. En France, il existe par exemple la réserve nationale maritime de Cerbère-Banyuls, près de la frontière catalane en Méditerranée, qui possède 0,6 km2 entièrement protégés. Cette réserve héberge une biodiversité incroyable, et toute la biodiversité alentour bénéficie de cette réserve.
Bref, quand elles sont mises en place de manière forte, les aires marines protégées sont efficaces et bénéfiques pour toute la biodiversité marine. L’ipbes a en particulier bien établi que l’efficacité des aires marines protégées dépend de plusieurs facteurs, comme la mise en place d’une gouvernance adaptative, d'un engagement sociétal fort, de mécanismes efficaces et équitables de partage des bénéfices, d'un financement soutenu (en particulier par les politiques publiques), mais aussi du suivi et de l'application des règles et des lois visant à les protéger efficacement.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.