Vous nous parlez cette semaine des inégalités de genre au travail.
Oui, je voulais aborder cette semaine une thématique trop souvent réduite dans le débat public à la simple question des inégalités de salaires entre hommes et femmes qui occupent un même poste. Alors que la sphère professionnelle regorge d’inégalités qui sont bien plus profondes.
Quelle est la première source d’inégalités entre les sexes sur le monde du travail ?
Et bien il s’agit du temps de travail. On entend souvent qu’il est normal que les femmes gagnent moins, car elles travaillent moins.
Oui, il est véridique que les femmes travaillent moins : 31% des femmes travaillent à temps partiel, contre seulement 7% des hommes ; et 80% des contrats en temps partiels sont occupés par des femmes. Donc la première inégalité au sein de la sphère professionnelle est là : les contrats précaires sont féminins.
On répond souvent à cela que le temps partiel est choisi par les femmes : elles auraient soi-disant envie de ne pas travailler à plein temps pour s’occuper des enfants ou de la maison.
Outre le caractère très construit de cet argument, il est tout simplement faux :
- les contrats à temps partiels concernent majoritairement des femmes de moins de 25 ans et de plus de 45 ans, soient des périodes qui coïncident rarement avec celle de la maternité
- et quand on demande à ces femmes si elles aimeraient travailler plus, elles répondent à 70% « oui »
Donc certes, les femmes travaillent moins, mais la plupart du temps, ces contrats à temps partiel sont subis.
Au-delà du temps de travail, le choix de la filière professionnelle est également source d’inégalités, n’est-ce pas ?
Oui, cela n’échappe à personne, les filières les plus rémunératrices sont principalement investies par les garçons. Françoise Vouillot a démontré que les garçons s’orientent majoritairement vers les maths, les sciences de l’ingénieur, l’architecture et la production industrielle ; tandis que les filles choisissent le care (soit les métiers du soin), l’enseignement, le littéraire, les arts, et la communication, qui sont des domaines moins rémunérateurs.
Notre sexe conditionne en partie notre métier, et donc notre rémunération ; et cette réalité se retrouve dans la plupart des pays européens. C’est pourquoi l’école et les professeurs ont un rôle central pour ne pas perpétuer ces orientations genrées, et qu’une politique d’égalité entre les sexes est nécessaire dans le milieu scolaire, car c’est là que commencent les inégalités.
Mais pour les personnes qui exercent le même métier, comment explique-t-on les inégalités ?
La plupart du temps, c’est la maternité qui agit comme moment de décrochage entre les salaires des Hommes et des Femmes. La progression de carrière arrive majoritairement entre 25 et 35 ans, soit la période au cours de laquelle les femmes passent par des congés maternité.
Et ces périodes de « pauses » dans la carrière des femmes sont à l’origine d’écarts qui ne seront jamais comblés. Et il est important aussi de mentionner que le rôle du « directeur » ou du « dirigeant » est construit selon des normes masculines : un chef doit être charismatique, fort et viril, ce qui limite les femmes pour accéder à ce type de poste, car leur identité de genre n’est pas fondée sur ces caractéristiques.
Et l’ensemble de ces facteurs sont à l’origine d’autres inégalités.
Oui Laurence : le fait que les femmes gagnent moins au cours de leur vie renforce les :
- inégalités de patrimoine déjà : car le patrimoine brut moyen de l’ensemble des hommes est supérieur de 15% à celui des femmes.
- et les inégalités de pensions retraite ensuite : les femmes ont une pension retraite en France inférieure de 38% à celle des hommes, ce qui représente 668€ de moins.
C’est là qu’on perçoit toute la dimension systémique des inégalités hommes / femmes : ces inégalités sont cumulatives, et font système.
Ce n’est qu’en adoptant une vision systémique des inégalités Hommes / Femmes dans la sphère professionnelle, qu’en observant l’ensemble du marché du travail au spectre du genre que nous parviendrons à identifier et surtout agir sur ces inégalités.
Il ne s’agit pas de mener une guerre contre les hommes qui ont bien réussis professionnellement, loin de là ! Il s’agit de voir que oui, la grande majorité des postes de direction et de pouvoir sont occupés par des hommes : c’est une réalité. Et se rendre compte de cela nous permettra d’encourager, de lever les barrières, et de briser les normes du monde du travail, pour que les futures générations de femmes ne soient jamais limitées dans leur vie professionnelle.
Certains me répondront que la tâche est colossale et le défi immense, et je leur répondrai que c’est pour cela qu’il faut commencer à agir dès maintenant.
Et ça sera pour vous aussi, messieurs, une grande source de satisfaction : vous verrez, vous serez incroyablement fier de votre fille, de votre petite-fille, de votre amie, ou de votre compagne.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.