Vous nous parlez cette semaine de la place des femmes dans l’art.
Oui, car comme dans tous les domaines que j’aborde depuis des mois, l’art ne fait pas figure d’exception. Ce domaine est aussi marqué par l’absence des femmes depuis des siècles, et par des inégalités de genre persistantes. Mais l’art est un monde particulièrement intéressant sous le spectre du genre, car par exemple, lorsque l’on se promène dans un musée, les représentations des femmes sont partout, mais il y a une différence à établir entre sujet, objet d’art et artiste.
Que voulez-vous dire à travers cette différence ?
Les femmes ont toujours été objet de peintures et de sculpture. De la Vénus de Milo en passant par les représentations de la vierge à l’enfant, de la Joconde, ou encore des nus de Goya et de Courbet, Manet ou Delacroix, les femmes sont visibles dans les œuvres d’art en tant que sujets. Toutefois, elles sont présentées sous le spectre du regard masculin, et les œuvres réalisées par des femmes, sont, elles invisibles. La preuve : trouver des œuvres d’artistes féminines de l’Antiquité au XXe siècle dans les musées est pratiquement mission impossible. Dans la base de données Joconde, répertoriant les œuvres des musées français de l’Antiquité au XIXe siècle, seul 0,78 % sont réalisées par des femmes. Autre chiffre : seulement 1 % des œuvres jouées en salle sont des pièces de compositrices classiques. Et les femmes artistes connues sont celles qui étaient rattachées à des hommes, c’est le cas de Camille Claudel et de Rodin par exemple.
Mais l’expression même de « femmes artistes » témoigne de cette problématique, car on n’a jamais besoin de préciser « homme artiste » : la neutralité dans le monde de l’art, c’est le masculin.
Mais est-ce que cela signifie qu’il n’y a jamais eu de femmes artistes ?
Et bien non, tout au contraire. Comme le souligne Camille Morineau, conservatrice du patrimoine et directrice de l’association Aware, qui milite pour la reconnaissance de la place des femmes dans le monde de l’art, « il y a toujours eu des femmes artistes, mais on a tout simplement ignoré leur travail et l'histoire les a oubliées ». Et cette invisibilisation touche tous les domaines : la littérature, la poésie, la musique, la peinture, la sculpture, le cinéma, et bien d’autres encore.
Mais quelles sont les sources de cette invisibilisation des femmes dans le milieu artistique ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette invisibilisation, qui a été à la fois involontaire et volontaire. Charlotte Foucher Zarmanian, docteure en histoire de l'art et chercheuse au CNRS, rappelle que « Faire de l'histoire, c'est faire des choix, donc exclure. En histoire de l'art, il y a eu une mise à l'écart des femmes, qui n'était pas forcément conscientisée ». L’histoire de certaines disciplines artistiques a donc fait l’objet d’une sélection a posteriori, car comme le souligne Martine Lacas à la fin du XVIIIe siècle, les femmes peintres étaient aussi bien considérées que les hommes.
Mais dans d’autres disciplines comme la musique, l’architecture ou la littérature, le talent des femmes a été volontairement critiqué, minimisé, et relayé au second rang.
Les conséquences de cette invisibilisation sont bien visibles : qui peut citer une œuvre de Angélique Mongez, Adélaïde Labille-Guiard, et Hortense Haudebourt-Lescot ? Ou un livre de Marceline Debordes Valmore, Anne Barbier ou Hélène Bessette ?
Cela signifie que nous sommes passés à côté d’œuvres, et que notre patrimoine culturel est moins riche en raison de la domination masculine.
Mais qu’en est-il actuellement ? Quelle est la place des femmes, de nos jours, dans le monde de l’art ?
C’est mieux, indéniablement. Grâce à Rosa Bonheur, Frida Kahlo, Niki de Saint Phalle et bien d’autres, les femmes ont su gagner leur place et leur légitimité dans le milieu artistique, bien que nous soyons encore loin de l’égalité dans de nombreux domaines. Nous en sommes par exemple bien loin sur l’aspect financier, car les artistes féminines sont beaucoup moins cotées sur le marché de l’art que leurs homologues masculins.
Mais il y a des sources d’espoir. Des expositions spécifiques émergent pour rendre hommage et redonner leur place aux artistes et aux œuvres qui ont été oubliées par le passé. Par exemple, l’exposition « Peintres femmes » du Musée du Luxembourg en 2021 en est une illustration. Mais ce qui serait encore mieux, c’est que ces œuvres fassent partie des expositions liées à leurs temps et à leur courant, et qu’elles n’aient plus besoin d’expositions spécifiques aux femmes pour être exposées.
L’art. Cette représentation du monde, de la vie, de la beauté, de la société, du pouvoir, de l’émotion, du réel, de l’irréel. Alors que les femmes ont été chassées, délégitimées ou invisibilisées par l’histoire, l’heure est à présent à leur rendre hommage, et à leur redonner toute leur place dans le monde de l’art. Car les femmes ont toujours eu et ont encore des choses à dire par ce moyen d’expression, dont leurs combats pour l’égalité, pour que la vision de la femme change, pour que leur vision du monde soit reconnue. De nombreuses femmes ont également utilisé leur statut d’artiste pour faire avancer la cause des femmes, c’est le cas de Rosa Bonheur, Niki de Saint Phalle, Orlan, Miss Tic ou Louise Bourgeois. L’art fait donc partie intégrante du combat.
Si vous êtes fatigués d’écouter et d’entendre les féministes et leurs revendications, alors, allez voir leurs œuvres dans les musées. Mais encore faut-il qu’elles y soient exposées.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.