Bonjour et bienvenue dans "Parlons élections, les européennes 2024 en question". Je suis Lola Avril et tous les mois nous discutons avec des chercheuses et chercheurs en sciences sociales des élections européennes à venir.
Pour ce sixième épisode, j'ai le plaisir de recevoir Marie Acabo, doctorante en sciences politiques à l'IEP de Strasbourg, au laboratoire SAGE. Bonjour Marie ! Tu travailles sur le groupe parlementaire des Verts au Parlement européen depuis 1979 jusqu'à nos jours. Ce groupe a été créé au Parlement européen en 1984. La mouvance écologique investit donc assez tôt l'arène parlementaire européenne, connaissant un certain succès. Marie quelles sont les grandes lignes de l'histoire des relations entre le Parlement européen et les Verts ?
Effectivement, le Parlement européen, c'est un des premiers espaces institutionnels qui a été investi par les Verts et ils ont été élus en tant que groupe en 1984. Entre 1984 et 1989, la seconde législature du Parlement européen, mais la première de leur présence, le groupe des Verts était dans un sous groupe d'un groupe qui était plus grand, qui s'appelait le groupe Arc en ciel, et donc le groupe des Verts formait un petit groupe qui s'appelait le GRAEL et qui en gros regroupait différents sous petits groupes qui étaient réunis autour de leur opposition aux communautés européennes telle qu'elle se faisait à l'époque.
Et quand on ouvre le tout premier livret, petit flyer d'information, du groupe des Verts, on peut y lire qu' ils sont opposés aux Communautés européennes et en particulier donc dans une posture de critique politique. Elles se déploient notamment contre la mise en marché de l'Europe et le fait que l'Europe se construise plus sur la base d'un marché commun que véritablement autour d'objectifs qui, eux, leur étaient plus chers, en l'occurrence de l'Europe sociale verte et féministe. Ils critiquaient l'Europe comme étant une superpuissance. Selon eux, ils promouvaient plutôt un projet européen alternatif qui était celui de l'Europe des régions et décrit comme une forme de fédéralisme encore plus poussée où l'Europe serait le niveau de coordination des régions qui serait la cellule administrative qu'ils appelaient de leurs vœux.
Alors toi, justement, tu fais une recherche autour d'archives en faisant des entretiens, l'étude des trajectoires des députés et de leurs collaborateurs, un travail ethnographique aussi sur le groupe politique des Verts. Est ce que tu peux nous dire comment on part de cette position très critique des Verts au Parlement européen à aujourd'hui en tout cas, j'ai l'impression que les Verts ont une position de participation à la vie législative européenne et ne remettent pas en cause le projet européen. Comment s'est faite cette évolution ?
Il y a des recherches avant moi qui se sont penchées sur cette question et qui disent "quand on rentre dans l'Europe, et bien on s'organise, qu'on rentre dans l'Europe, on s'européanise, on se déradicalise, on se ramollit politiquement". Donc évidemment, en tant que sociologue, ça interroge. En fait, c'est quoi les ressorts sociologiques et les ressorts politiques de ce ramollissement? Alors évidemment, il y a tout un ensemble de facteurs. Le premier, ça peut être un peu décevant, c'est juste que ce n'est pas les mêmes personnes. Évidemment, entre 1984 et 2024, les élus et surtout leurs équipes sont renouvelées. Alors il y a des gens qui ont vraiment été nos collaborateurs politiques sur toute la période. Mais en attendant, pour le reste, c'est quand même renouvelé. Alors au delà de dire "c'est pas les mêmes personnes", oui d'accord, mais en fait c'est surtout que du coup ce n'est pas les mêmes personnes qui ont des trajectoires et notamment des trajectoires de politisation qui ne sont pas les mêmes. En particulier donc quand on regarde les premiers élus, c'était des gens qui étaient issus des mouvements sociaux des années 1970 et qui ont importé dans l'arène parlementaire, tout un ensemble de représentations, de manières de faire de la politique, des manières d'agir en politique qui sont ceux de leur politisation, de leur trajectoire qui leur était propre.
Et pour donner un exemple, ce premier groupe, GRAEL était vraiment organisé dans un refus absolu de la hiérarchie du travail, de la division du travail, s'organisait vraiment de manière à s'opposer presque dans tous les aspects possibles aux contraintes institutionnelles et au Parlement européen. Donc déjà en fait ils étaient très peu tournés vers le travail législatif. On peut se dire c'est un engagement politique. Oui et non. Alors certes, c'est un engagement politique, mais c'est aussi que bon, bah le parlement européen pesait rien à cette époque là, donc d'une certaine manière une forme de perte de temps pour eux. Mais c'est aussi que eux, ils promouvaient vraiment l'idée que eux, ils étaient l'interface entre les mouvements sociaux dont ils étaient issus et cette sphère institutionnelle en construction par ailleurs. Et donc ils ne voulaient pas du tout participer, ils boycottaient tout un ensemble de commissions que maintenant il sur investissent parce que c'est vraiment les commissions clés, en particulier les commissions budgétaires. Mais donc aussi leur manière d'agir était beaucoup plus protestataire. Donc c'était vraiment aller manifester dans l'hémicycle, faire des manifestations dans les couloirs. C'était aussi par exemple, tout un ensemble de relais de cause. Par exemple, ils ont organisé, ils ont financé sur les fonds européens dont ils disposaient via le groupe l'organisation dans le cadre d'un congrès des prostituées. Et donc progressivement, il y a tout un ensemble de facteurs qui changent. Il y a le fait que 1984, au delà du fait d'être l'entrée au Parlement européen des Verts, c'est aussi le moment de formation des partis verts d'Europe de l'Ouest. Quand on regarde, c'est un peu le moment où les partis commencent à se fonder. et donc évidemment, ce n'est pas juste les partis pour les partis, mais c'est aussi les partis parce qu'on sait que les partis vont sélectionner le personnel politique et vont participer à former des socialisations qui vont être unifiées, des habitus militants, les habitus de leur candidat. Et donc vraiment ce rôle de sélection d'élite qui va d'une certaine manière aussi normaliser et lisser en peu, homogénéiser les manières de faire de la politique dans ces institutions là.
Il ne faut pas oublier que quand on étudie un groupe politique parlementaire au niveau européen, c'est composé de partis nationaux et que la transformation de ces partis va avoir un impact.
Étudier le groupe politique. Et c'est vrai, pas seulement pour les Verts, évidemment, c'est vraiment une question d'hétéronomie et d'autonomie. C'est vraiment toute une question d'ailleurs sur toute la période que j'étudie, je me pose vraiment cette question là, c'est dans quelle mesure est ce qu'il y a vraiment des formes d'autonomisation ? évidemment pas de capital politique européen, mais plutôt de forme de capitaux qui s'ajustent de plus en plus à l'institution. Donc oui, ce groupe politique, il fonctionne vraiment comme un révélateur de dynamiques qui sont plus larges. Donc il y a le développement des partis, leur institutionnalisation, leur professionnalisation qui va, par effet de ricochet, professionnaliser aussi le groupe. Après, il y a aussi quand même vraiment l'institutionnalisation du Parlement européen en lui même qui va faire entrer en vigueur tout un ensemble de normes qui sont notamment liées à la au financement de la vie publique. Mais en fait, c'est dans mes entretiens, j'ai vraiment des députés qui me répondent "oui, j'avais quatre collaborateurs, mais effectivement, ils travaillent tous pour le parti".
Capter les ressources en fait fournies par le Parlement européen pour les réinjecter, comme tu le dis, dans d'autres sphères, dans d'autres arènes plutôt que dans le Parlement européen lui-même.
A la fin des années 1990, y a quand même tout un ensemble d'entrepreneurs d'européanisation. Je pense qu'une des figures les plus les plus connues, c'est Daniel Cohn-Bendit qui, lui, a une trajectoire politique européenne. Pour le dire comme ça, il a été élu au local, il était maire et ensuite, il l'investit l'Europe parce qu'il considère que c'est le le niveau d'action qu'il faut investir. Et avec ça vient tout un ensemble de manières de voir la politique et en l'occurrence le fait que les compromis sont nécessaires. Il faut parler avec tous les groupes politiques. Il ne faut pas être dégoûtés d'aller parler avec la droite et en gros, toute petite victoire est bonne à prendre et progressivement ça devient "on négocie les textes, vraiment, on investit cet espace là".
La dernière chose que j'ai envie d'apporter comme un élément explicatif de cette transformation : il y a aussi, quand on regarde l'organisation du groupe lui même, enfin la division du travail au sein du groupe parlementaire. Donc on passe vraiment d'un truc qui est très horizontal, avec un système de reversement des fonds où les députés, donc au début, remettent une partie leur salaire pour engager d'autres co-députés avec tout le système de la rotation. Mais ce système il fonctionne aussi pour les collaborateurs qui vont remettre une partie de leur salaire dans un pot commun pour embaucher d'autres collaborateurs, etc. Ce système perdurera jusque dans les années 2000 où la Cour des comptes européenne dit "on va peut être se calmer avec ça, là". Mais du coup persiste un peu cet esprit là.
Ce n'est plus du tout le cas dans les années au tournant des années 2010 en gros, on a vraiment l'instauration d'un niveau managérial un peu en pointe et dont on peut retracer l'origine dans le fait que notamment entrent dans ce groupe et notamment à des postes de direction par exemple Philippe Lamberts qui lui vient du privé, qui a lui même occupé des positions similaires et du coup va importer plutôt des logiques du privé d'organisation, etc. Je pense que cela a aussi eu des effets sur la socialisation, que le travail socialise et socialise notamment à des visions du monde, des manières de faire... Je veux dire quand on est dans les années 1980-1990 militante féministe, que l'on arrive et qu'on accepte de travailler pour trois bouts de ficelle et de se dédier corps et âmes. Il faut quand même imaginer qu'à l'époque, députés et collaborateurs, ils vivaient en coloc ensemble sur des matelas par terre etc.
Donc un lien aussi, ce que tu montres, entre la transformation des profils et notamment des profils issus du privé et la transformation des pratiques et des modes d'organisation d'un groupe politique, de la même manière que l'administration a pu aussi connaître ce même type d'évolution parallèle.
Une dernière chose : sur les dernières années, ce que j'observe, c'est vraiment le développement de filières de recrutement vraiment européennes de ce groupe politique gauche. Avec la question de l'autonomisation du groupe face aux partis nationaux, les Verts ont été les premiers à pousser très fort pour la création de partis politiques au niveau européen.
Merci à Marie Acabo d'avoir fait le point avec nous sur l'histoire des Verts au Parlement européen et l'acculturation progressive de ce groupe à la politique européenne. On se retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode de Parlons élections.