Bonjour et bienvenue dans Parlons élections. Les européennes 2024 en question. Je suis Lola Avril et tous les mois nous discuterons avec des chercheuses et chercheurs en sciences sociales des élections européennes à venir.
Pour ce troisième épisode, j'ai le plaisir de recevoir Yiorgos Vasalos, docteur en science politique de l'Université de Strasbourg, et chercheur associé au CERAPS à l'Université de Lille. Bonjour Yiorgos.
Bonjour, merci beaucoup pour l'invitation.
Ta thèse porte sur le lobbying à l'échelon européen. Elle est intitulée l'Europe de la finance. Enquête sur la production de la régulation financière européenne. D'abord, qu'est-ce que le lobbying et comment impacte-t-il le processus décisionnel européen ?
Alors le lobbying est une activité professionnelle qui est entreprise par des acteurs non gouvernementaux pour participer à la production des politiques publiques. Quand je dis acteurs non gouvernementaux, je veux dire des entreprises et des secteurs économiques qui s'organisent en fédérations, les consultants qui travaillent pour eux, mais aussi les associations et les ONG et les syndicats des salariés, qui engagent aussi des professionnels dont le boulot est d'interagir avec les institutions européennes. Et quand je dis « participer dans la production des politiques publiques », ça veut dire participer dans des groupes consultatifs des institutions européennes, de répondre aux appels à des contributions écrites et de demander et effectuer des réunions bilatérales avec des décideurs politiques. Pour parler de l'impact, je vais prendre l'exemple de la réponse européenne au changement climatique.
Alors justement, quand on regarde cette crise climatique et la réponse apportée par l'Union européenne, qu'est-ce qu'on peut en conclure concernant les stratégies d'influence des entreprises ?
On voit d'un côté que les conséquences de la crise climatique s'approfondissent année après année et on voit en même temps que l'Union européenne n'est pas en bonne route pour mettre les émissions nettes des gaz à effet de serre à zéro d'ici à 2050, ni pour éviter que l'instabilité climatique ne devienne irréversible d'ici en 2030. Alors il faudrait un coup d'accélérateur. Et pourtant, lors du mandat du Parlement européen qui va se terminer en 2024, une série de législations européennes importantes ont été affaiblies. Par exemple, les réglementations des émissions de l'aviation, du transport maritime, toute la législation qui concerne le financement du changement climatique, l'effort d’acheminer les investissements vers des activités plus vertes, l'inclusion de la finance, le devoir de vigilance climatique … est en train d'être affaibli. La réduction des pesticides a été rejetée. La loi sur la restauration de la nature a été très affaiblie. Alors, les lobbies qui existent à Bruxelles contribuent à retarder la transition. Et cet effort de lobbying, il vient principalement des grandes banques, des gros gérants d'actifs, mais aussi des multinationales du big tech, de l'énergie, de la chimie, du transport, de la big pharma ou encore des armements.
Ça représente combien de personnes à peu près à Bruxelles, ces acteurs qui essaient d'influencer le processus décisionnel ?
Alors si on prend tous les lobbyistes qui sont à Bruxelles, ONG, associations, syndicats inclus, on est à environ 35 000 professionnels dont le métier, c'est de participer dans les consultations diverses, et d'interagir avec les institutions européennes. Il faut rappeler qu'à Bruxelles, le nombre des agents des trois institutions principales, c'est environ 35 000. Alors, on est dans un rapport à peu près un sur un. Et. En fait, le problème, c'est que deux tiers des représentants d'intérêts ou des lobbies si vous préférez, représentent des intérêts des multinationales et il y a seulement un quart qui représente des associations et des ONG et un infime 6 % qui représentent les syndicats des salariés.
Et du coup, ça se traduit en un nombre important de propositions d'amendements législatifs qui sont rédigés par des lobbies principalement industriels et financiers. Ils sont envoyés aux eurodéputés et souvent adoptés. Ce qui a résulté dans la période législative qui est en train de se terminer, au retardement de la transition climatique, mais aussi à l'affaiblissement du caractère social des transitions climatiques.
Alors justement, dans ta thèse, tu t'intéresses aux réformes entreprises après la crise économique de 2008 pour réguler le secteur financier. Quelles leçons peut-on tirer de tes recherches et de ton enquête de terrain sur la stratégie du lobbying et la structure du système de lobbying à Bruxelles ou à l'échelon européen ?
Alors ma thèse montre que niveau européen, le consensus politique pour agir sur quelque chose n'est pas suffisant. Ma thèse, comme tu l'as dit, porte sur la réforme après la crise de 2008 et elle montre comment l'ambition d'une réforme qui allait faire de la transparence la règle dans les marchés financiers a été terrassée et détricotée. En fait, la force politique des banques et des autres entreprises multinationales repose sur les nombres de spécialistes des affaires européennes qu'ils embauchent, sur les grands nombres des réunions qu'il obtient avec les représentants des institutions européennes, aussi bien les eurodéputés avec les fonctionnaires de la Commission européenne sur les nombres des documents et des données qu'ils peuvent soumettre dans des procédures formelles ou informelles des consultations, y compris les amendements, les propositions d'amendement parlementaire. Mais ça repose également sur le phénomène des revolving doors le fait que de manière massive que les représentants des institutions européennes, y compris les eurodéputés, les assistants parlementaires, deviennent lobbyistes après un ou plusieurs mandats.
Les revolving doors qui sont donc les circulations entre le secteur public et le secteur privé, et ici entre les institutions et les lobbies.
Donc dans ma thèse, je montre par exemple que 40 % des agents de la Commission, du Parlement et du Conseil qui ont travaillé sur la réforme sur la transparence financière, ont circulé avec les opposants de la transparence, c'est à dire les banques et les gérants d'actifs, alors que seulement 11 % ont circulé avec des secteurs de la finance et d'autres organisations qui ont été partisans de la transparence. Alors, ce n'est pas seulement qui circule, ce qui est important c’est : avec quels types d'intérêts ils circulent. E le fait qu'ils aient circulé surtout avec les opposants de la transparence, ça nous fournit une explication qui n'est pas exhaustive, mais qui est quand même une explication qu'il faut prendre en compte, sur ce qui a provoqué l'échec de cette réforme.
Et on voit bien donc que c'est circulation alliée à des stratégies de lobbying, rendent la structure du système de représentation d'intérêts à Bruxelles globalement en faveur des grandes entreprises. Et quelles conséquences cette structure déséquilibrée peut avoir dans le cadre de la campagne électorale des élections européennes à venir, voire plus globalement sur la démocratie européenne ?
Yiorgos Vassalos Alors il y a trois éléments dans les élections européennes qui sont importants. Le premier élément, c'est que selon les sondages, les seuls deux groupes parmi les sept du Parlement européen qui sont projetés à gagner des sièges, ce sont les deux groupes qui s’opposent ouvertement à l'action climatique, c'est à dire les conservateurs et réformistes européens et le groupes Identité et démocratie. Deuxième élément, c'est que le Parti populaire européen est en train de faire un tournant climatosceptique et de mettre en doute son engagement en faveur du Pacte vert. Et le troisième élément, c'est que même chez les forces progressistes, on voit quelques signes d'hésitation. Par exemple, Frans Timmermans, l'ancien vice-président de la Commission, qui a apporté la liste sociale-démocrate aux élections hollandaises récentes, a relativisé l'urgence de l'action climatique. Alors, si ces tendances se confirment, sont confirmées aux urnes, on aura un chant de gloire pour la prise en otage de l'agenda de transition par les lobbies financiers et industriels.
Lola Avril : Alors on le voit, tu nous dépeins un tableau assez pessimiste en fait, des rapports de force et des possibilités d'action contre le changement climatique des institutions européennes. En quoi cela impacte aussi la démocratie européenne ?
Déjà, on a une opportunité d’inverser cette tendance lors des élections en votant pour des candidats qui démontrent un engagement pour une transition urgente et socialement juste. Mais pour espérer un changement, il faut aussi que le lobbying en soi devient une thématique des élections. On parle beaucoup de démocratie européenne, mais est ce qu'elle existe réellement ? Je pense qu'il y a bien un système politique et un espace public européen, mais d'après ce que j'ai pu remarquer à travers mon implication dans cet espace et mes recherches depuis environ 20 ans, ce système politique est structurellement oligarchique. Parce qu’une seule des institutions européennes est directement élue, parce qu'il y a une opacité continue à l'institution qui fait les décisions les plus importantes, c'est à dire le Conseil de l'Union européenne : on connaît peu des choses sur ce qui se passe dans la négociation entre les États, mais aussi à cause des cet accès privilégié des multinationales dans la fabrication des politiques publiques. Et à mon sens, on ne peut pas arriver à une démocratie européenne si on ne fait pas une réforme profonde du système de représentation et des consultations des groupes d'intérêts à Bruxelles. Et cette réforme devrait assurer qu'il n'y a plus cet accès privilégié et qu'il y a plus des règles d'équité et de participation équitable des différents secteurs, des différents groupes sociaux. Et j'espère vraiment que ça devienne un des thèmes de campagne pour les élections qui vient.
Merci Yiorgos. On se retrouve le mois prochain avec Jana Vargovčíková sur les enjeux des élections dans les pays d’Europe centrale.