Tous les mois sur euradio, Lola Avril, docteure en science politique et chargée de cours à Sciences Po, discute avec un•e chercheur•se en sciences sociales pour comprendre, à partir de ses travaux, les élections européennes et les enjeux de la campagne électorale.
Aujourd'hui, Lola Avril, accueille Francisco Roa Bastos, docteur en sciences politiques, maître de conférences à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne et spécialiste des partis politiques européens. Ces structures qui rassemblent des partis nationaux des différents États membres sont au cœur des élections européennes.
Pour ce premier épisode, je suis ravie d'accueillir Francisco Roa Bastos, docteur en sciences politiques, maître de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste, entre autres, des partis politiques européens. Ces structures, qui rassemblent des partis nationaux des différents Etats membres, sont au cœur des élections européennes depuis leur reconnaissance juridique par le traité de Maastricht en 1992. Que s'est il passé alors ?
Ces structures, que j'appelle personnellement les Euro-partis pour les distinguer des partis politiques nationaux européens, ont été effectivement reconnues à Maastricht en 1992 pour la première fois. Une reconnaissance qui, à l'époque, était tout à fait symbolique. Il était simplement acté qu'il y avait des structures de coordination des partis politiques au niveau européen, avec l'objectif à terme de les institutionnaliser, c'est à dire de les rendre plus consistantes et notamment de leur donner un financement.
Ce financement a été établi et reconnu en 2003 dans un règlement de l'Union européenne, ce qui a permis de donner une partie du budget européen à ces partis. Un budget qui a été croissant depuis 2003 puisqu'aujourd'hui on est à peu près à 46 millions d'euros que se partagent les euro parties qui sont reconnues au niveau européen.
Est ce qu'à ce budget croissant et à cette institutionnalisation progressive des partis européens correspond un rôle important et un rôle accru de ces partis dans la politique européenne ?
C'est justement le paradoxe de ces partis. On a tendance à dire dans la recherche sur les partis politiques que les partis ont plusieurs fonctions. Ces partis prétendent incarner aussi ces fonctions au niveau européen, par l'intermédiaire de leurs membres nationaux ou directement lors des élections européennes. Mais on se rend compte qu'en fait, ces fonctions sont très peu remplies par ces partis, par ces structures. D'une part, parce que la fonction de mobilisation citoyenne est faiblement prise en charge par ces structures qui n'ont pas de citoyens adhérents individuellement.
Ce sont vraiment des partis nationaux qui adhèrent à ces structures là. Lors des élections européennes, ce sont les partis nationaux qui mobilisent dans des campagnes plutôt nationales, avec des enjeux qui devraient être certes européens, mais qui sont le plus souvent des enjeux plutôt domestiques. Et le personnel politique, que ces partis pourraient éventuellement sélectionner... En fait, c'est cette fonction de sélection du personnel politique est très peu remplie. Donc, paradoxe, parce qu'une reconnaissance poussée au niveau juridique au niveau européen, mais une utilisation très faible des de ces structures et de ces partis dans les campagnes nationales.
Et c'est vrai, comme vous l'avez écrit dans un des articles que vous avez publié pour la revue Politique européenne, que ces partis "n'ont qu'une très faible influence sur les partis nationaux membres et un très faible poids politique". Alors, quelles sont les conséquences de ce faible rôle des partis européens pour la démocratie européenne ?
Alors, c'est évidemment l'argumentaire qui est derrière tout ce processus historique et politique de reconnaissance ou de mobilisation autour de la reconnaissance des Euro-partis. Le discours, c'est de dire : "on est en train de construire l'Europe, on est en train de construire une démocratie européenne, pour que cette démocratie ne souffre pas de déficit démocratique, pour qu'elle soit légitime, il faut qu'elle ait les attributs de toute démocratie parlementaire qui se respecte".
Et parmi ces attributs, il y a notamment l'élection directe des députés, ce qui a été obtenu en 1979 et qui est une des raisons du développement de ces partis. Il y a justement cette idée qu'une démocratie ne peut exister que s'il y a des partis pour mobiliser les citoyens, pour faire des programmes électoraux, pour sélectionner le personnel politique, et cetera. Le problème est que cet ce discours ou cette idée n'est pas justement directement validée par les faits et par le poids réel de ces partis, comme on l'a dit déjà.
Et donc on se heurte à un risque, un risque démocratique qui est celui que des chercheurs comme Antoine Vauchez, par exemple, ont identifié quand ils parlent de la démocratie européenne comme d'une démocratie Potemkine. Une démocratie de façade qui reprendrait les différents attributs de démocratie parlementaire, mais des attributs qui seraient en fait vides puisqu'ils n'auraient pas la consistance qu'ils ont pu avoir historiquement par le biais de la construction sociale qu'elles ont connu au niveau national.
Donc on est face, encore une fois ici, un paradoxe. D'un côté, des structures démocratiques, un lexique démocratique, des partis qui sont censés faire exister la démocratie européenne, mais leur manque de pouvoir, leur manque de poids politique, paradoxalement, conduit à une sorte de désillusion encore plus forte qui fait dire aux critiques de ce processus qu'en fait, on est face à une justement à une façade, à une illusion et à une démocratie qui ne se construit pas vraiment au niveau européen.
Alors justement, j'aimerais évoquer avec vous ces élections qui arrivent en juin 2024 et qui sont l'objet de cette émission. Dans le contexte français, quels sont les défis posés aux partis nationaux au regard de leur appartenance à des formations politiques européennes ? Au regard de ces élections européennes à venir, selon vous ?
Au niveau français, il y a des enjeux très forts pour les partis et on le voit avec les débats qui commencent à émerger, sur la composition des listes notamment. Il y a des enjeux très forts parce que les élections européennes sont un moment important pour tous les partis et une occasion pour la France en particulier, de remporter des victoires plus simples que dans des élections législatives qui sont faites au scrutin majoritaire. Ici, on est face à un scrutin proportionnel de liste au niveau national, ce qui traditionnellement, dans l'analyse en science politique, montre que c'est favorable, ce type de scrutin aux petits partis ou aux partis d'opposition qui trouvent là un moyen de peser plus fort que dans les élections traditionnelles qu'on a en France, pour les législatives par exemple.
Une manière de tester en fait les forces, les rapports de force politiques nationaux à travers ces élections ?
Tout à fait. C'est ce qu'on appelle en science politique des élections de second ordre. Donc, c'est une élection qui a des enjeux cruciaux pour les partis d'opposition, mais qui a aussi un enjeu très important pour le parti de gouvernement, en tout cas pour la renaissance. Concrètement, le parti du président, puisqu'en 2019, c'est Renaissance, la République en marche à l'époque et le FN, le rassemblement national qui était arrivé en tête en nombre de députés lors de ces élections. Donc, il y a un pour l'enjeu. Enfin, l'enjeu du parti de gouvernement actuel, c'est vraiment de montrer qu'il reste en fait à un niveau de soutien suffisant pour peser au niveau national et au niveau européen. Et à l'inverse, pour le parti d'opposition qui est un rassemblement national aujourd'hui, il y a aussi un enjeu commun. En 2019 à finalement arrivé encore premier.
Et justement, si on se place au niveau européen cette fois ci, et du point de vue de ces formations politiques européennes, quelles sont les tendances que l'on observe aujourd'hui ? Les reconfigurations éventuelles des rapports de force entre ces partis politiques européens ?
Alors, il y a des enjeux très forts pour les élections de 2024 parce que on observe effectivement des tentatives de recomposition, vous l'avez dit, des tentatives d'alliances, notamment à droite, je dirais, et notamment entre le grand parti de la droite traditionnelle qui est le PPE, le Parti populaire européen et le parti eurosceptique conservateur qui s'appelle le parti ECR européen, les conservateurs et réformistes européens. Et donc il y a des tentatives de rapprochement entre ces deux grandes formations qui elles-mêmes s'inscrivent dans une logique de concurrence interne à la droite élargie je dirais, puisque on a au niveau européen, deux grands partis de grands mouvements eurosceptiques :
ECR, que je mentionnais qui essayent en ce moment de se rapprocher du PPE; et le parti qu'on appelle ID, identité et démocratie, qui rassemble notamment les partis comme le Rassemblement national, mais aussi la Lega de Salvini en Italie, l'AFD allemande, etc. Et puis, il y a aussi des logiques de concurrence entre partis très proches, par exemple ces deux grands mouvements eurosceptiques qui sont en lutte finalement sur le même segment électoral et idéologique pour tenter de représenter l'opposition eurosceptique à l'Union européenne.
Donc c'est un point qui est d'autant plus intéressant qu'en fait, paradoxalement – un autre paradoxe ici - c'est que c'est finalement l'importance prise par les mouvements eurosceptiques qui, depuis quelques années, fait parler le plus d'Europe. C'est parce que ces mouvements conservateurs et réformistes sont en concurrence et font en quelque sorte une surenchère pour s'opposer à l'Union européenne. Que l'on parle de plus en plus d'Europe, que ces débats sont d'ailleurs importés au niveau national, dans les champs politiques nationaux.
Et donc, ce que je dis souvent à mes étudiants, c'est que la démocratie européenne passe aussi, comme toute démocratie, par le conflit politique. Plus on aura d'opposition, plus on aura de concurrence partisane au niveau européen, plus on a, comme on le voit actuellement, finalement, un débat public sur l'Europe qui se forge et qui fait parler d'Europe. C'est peut être quelque chose qui sera positif pour la participation, notamment aux prochaines élections européennes.