Parlons élections - Les Européennes 2024 en questions

Le Parlement européen contre la démocratie ? - Guillaume Sacriste

Le Parlement européen contre la démocratie ? - Guillaume Sacriste

Bonjour et bienvenue dans Parlons élections les européennes 2024 en question. Je suis Lola Avril et tous les mois nous discuterons avec des chercheuses et chercheurs en sciences sociales des élections européennes à venir. Dans ce septième épisode, j'ai le plaisir de recevoir Guillaume Sacriste, maître de conférences en science politique à l'Université Paris 1 un Panthéon-Sorbonne et co-responsable du Master Affaires européennes. Guillaume, vous êtes l'auteur d'un ouvrage qui est sorti la semaine dernière intitulé Le Parlement européen contre la démocratie. Repenser le parlementarisme transnational aux Presses de Sciences Po.

La montée en puissance du Parlement européen est largement documentée. Aujourd'hui, le Parlement est perçu comme le co-législateur au niveau européen. Est-ce que déjà cette affirmation du Parlement comme co-législateur - et qui serait l'équivalent presque d'une Assemblée nationale en France - est juste?

Elle n'est pas complètement fausse. D'abord parce que bien sûr, toute l'histoire de ce Parlement européen, c'est donc une montée en puissance, notamment de cette fonction, de sa fonction législative. Elle est aussi à moitié fausse parce que, quand on essaye de voir dans le détail ce qui se joue dans le processus législatif et donc de sortir un tout petit peu des seules règles juridiques qui donnent ce pouvoir de co-législateur au Parlement européen, on se rend compte - puisqu'il est co-législateur avec le Conseil - on se rend compte que finalement leur rôle est largement asymétrique dans le cadre du processus législatif.

D'un côté, on a des ministres, donc des membres des gouvernements nationaux qui vont devoir appliquer dans le cadre national la législation européenne. De l'autre côté, on a des parlementaires qui sont divisés et hétérogènes sur le plan politique et dont le rôle s'arrêtera au niveau européen. Et dans ce cadre-là, on peut dire que dans le processus de co-législateur, si le pouvoir juridique est égal entre les deux institutions, le Parlement européen doit nécessairement respecter les accords préalablement définis au sein du Conseil et ne peuvent s'écarter de ces accords qu'à la marge, sous peine que la législation européenne ne soit pas effectivement mise en place dans les cadres nationaux.

Donc un équilibre, oui sur le plan juridique, dans un certain nombre de domaines, dans la plupart des domaines aujourd'hui législatifs, tous les domaines qui ont trait au marché unique, ce qui fait le gros de la législation, on ne peut pas dire le contraire. Mais en même temps, sur le plan politique, une asymétrie qui se perpétue et puis surtout un parlement, historiquement, on le sait quand on fait un peu de droit constitutionnel, ça a été créé pour voter l'impôt. La fiscalité, c'est l'idée que dans une démocratie, c'est le peuple qui vote l'impôt et qui, par ce biais, en quelque sorte, construit la communauté politique.

Le Parlement européen ne vote pas l'impôt, ne vote pas les recettes puisque ce sont les États membres qui contribuent au budget de l'Union européenne par le biais donc de leurs revenus nationaux, de leurs contributions nationales qui forment plus de 80 % du budget de l'Union européenne. Donc, l'Union européenne n'a pas d'autonomie et de souveraineté sur le plan budgétaire parce que le Parlement européen n'a pas ce pouvoir, ne l'a jamais eu et, selon moi, a des chances de ne jamais l'avoir.

Vous montrez dans votre ouvrage comment les parlementaires ont également « minimisé les canaux démocratiques alternatifs » ? Est ce que vous pouvez revenir sur ce résultat de recherche qui d'ailleurs, à première vue tout à fait surprendre ?

Ce qu'on vient de voir, c'est que le Parlement européen a dû conquérir ces pouvoirs et parallèlement, ils ont donc essayé de construire une institution, le Parlement européen, qui concentre le pouvoir politique au sein de l'Union européenne. Donc, c'est tout un travail de mobilisation permanente de la part de ces parlementaires européens, tout particulièrement d'un petit groupe que j'identifie au sein du Parlement européen, que sont les fédéralistes européens, qui ne cesse d'essayer de construire le pouvoir politique, de concentrer le pouvoir politique européen au sein de leurs institutions et qui, ce faisant, vont de fait progressivement, politiquement et idéologiquement, exclure toutes les sources potentiellement alternatives mais aussi concurrentes de pouvoir politique au sein de l'ordre politique européen.

Quels sont ces canaux démocratiques, par exemple ?

Eh bien, les canaux démocratiques alternatifs sont les parlements nationaux. Ils participent de fait à la construction européenne depuis le début et finalement ils votent le budget de l'Union européenne. Aujourd'hui, ce sont les parlements nationaux, puisque le budget européen est construit des contributions nationales. Les contributions nationales, elles, sont votées par les parlements nationaux. Ils ont toujours été à la fois écartés de la construction communautaire comme potentiels concurrents du Parlement européen. Et en même temps, on voit bien que ça reste les verrous nationaux de la construction européenne. Donc l'idée, c'est de penser que les parlements nationaux sont des institutions incontournables de la construction communautaire.

Et cette idée n'est pas particulièrement originale. En vérité, c'est une idée qui a toujours été présente dans le débat politique depuis les années 1950. Pour les Allemands, par exemple, les fédéralistes allemands des années 1950 autour de Hallstein, un État fédéral européen, ça se construit comme un État fédéral, en l'occurrence allemand, c'est à dire sur la base d'une double représentation de deux chambres qui sont formées d'un côté par les États membres, le Bundesrat et de l'autre par les citoyens allemands, le Bundestag. Donc c'était une évidence pour eux qu'il devait y avoir deux chambres au sein du Parlement européen. Cette idée était initialement présente et elle a été relancée très souvent en vérité, dans l'histoire de la construction européenne.

Le grand moment d'inscription à l'agenda de la question des parlements nationaux dans la structure de l'Union européenne, c'est le début des années 2000, avec finalement le grand élargissement et l'idée de modifier les institutions. Avec la Convention sur le futur de l'Europe. A ce moment-là, 2000. C'est le grand discours de Joschka Fischer qui est considéré comme un grand discours fédéraliste. Et au centre de son discours, il y a cette question des parlements nationaux. Il dit clairement il faut deux chambres et il faut une seconde chambre avec des parlements nationaux. Et là, tout le monde emboîte le pas sur cette idée. On a un grand discours du chancelier de l'époque qui dit « Bien sûr, c'est une évidence, il faut une seconde chambre ». Et puis on a la Convention sur le futur de l'Europe sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing et grand discours d'ouverture de Valéry Giscard d'Estaing : Il est évident qu'on ne sortira pas de là sans avoir un grand congrès des peuples européens avec des parlementaires nationaux. Et puis là, pendant la Convention, les parlementaires européens, qui sont très actifs au sein de cette convention, vont parvenir à faire disparaître tout bonnement l'idée. Ils arrivent à évacuer complètement cette idée dont il ne restera trace à l'issue de la Convention.

Vous formulez une critique assez dure du Parlement européen dans votre ouvrage. Pourquoi, selon vous, les élections européennes à venir restent un rendez-vous important ?

Sur les élections : bien sûr que je pense qu'il faut aller voter. Et bien sûr, le rapport de forces au sein de cette institution aura une importance pour la politique européenne des cinq ans à venir. Et du coup, le spectre d'une droite nationaliste majoritaire au Parlement, où une forte minorité de parlementaires nationalistes est et reste une perspective relativement effrayante.

La seconde chose sur les élections, c'est de penser quand même que ce ne sont sans doute pas les enjeux les plus importants qui sont mis au cœur de la réflexion européenne. Si on veut être plus ambitieux et si on analyse la situation actuelle de manière un peu froide, les choses ont changé dans l'Union européenne de manière, à mon avis considérable du fait de la guerre en Ukraine. Il faut avoir quelque chose qui ressemble à une force défensive autonome et du coup un financement de la défense massif. Si on veut ne pas être satellisé, il faut avoir dans ce moment décisif des transformations économiques mondiales, une force économique d'investissement qui nous permette de développer de nouvelles infrastructures collectives.

Et de ce point de vue, là où je veux en venir, c'est que la question budgétaire, à mon avis, et la question centrale qui se posera dans les quelques années à venir. Et là on a deux solutions en fait, aujourd'hui, sur la table, soit ce sont des accords à 27, des négociations à 27 comme on les voit, très chaotiques, avec des résultats dont j'essaye de montrer dans le livre qu'ils sont faibles au total. C'est à dire que le grand plan de relance européen reste extrêmement limité et que du coup, cette gouvernance européenne en matière budgétaire, elle reste défaillante. Mais la question de la gouvernance, des parlements nationaux, de Parlement européen, etc ne peut que se concevoir par rapport à ce diagnostic d'un défaut et d'une faille en fait considérable, dont la construction européenne, qui est cette question budgétaire et qui a toujours été en fait l'éléphant dans la pièce de la construction européenne.

Il y a ces derniers temps des discussions autour de la nécessité d'opérer une réforme institutionnelle de l'Union européenne. Dans votre ouvrage, vous évoquez la possibilité d'un parlement transnational. Quelles en seraient les contours ?

Ma manière de résoudre ça, effectivement, c'est de considérer que les seules autorités budgétaires légitimes aujourd'hui dans l'Union européenne sont pour des raisons historiques profondes, ce sont les parlements nationaux. Et que de ce point de vue, la seule manière de contourner ces accords des exécutifs, c'est de passer par la construction d'une nouvelle assemblée, d'une assemblée dont le pouvoir principal serait un pouvoir fiscal au niveau européen, ce que ne peut pas avoir le Parlement européen à mon sens. Et cette assemblée, elle doit être composée des parlementaires nationaux et les autorités légitimes dans nos démocraties pour voter les recettes du budget.

Merci à Guillaume Sacriste d'avoir répondu à mes questions et présenté les thèses passionnantes de son dernier ouvrage sur le Parlement européen. Nous, on se retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode de parlons élections.