Parlement européen - Session plénière

Plénière au Parlement : Leïla Chaibi - Bientôt une meilleure protection des travailleurs des plateformes ?

Plénière au Parlement : Leïla Chaibi - Bientôt une meilleure protection des travailleurs des plateformes ?

A l'occasion de la session plénière des députés européens, Romain L'Hostis a interrogé la députée européenne française Leïla Chaibi (La Gauche au Parlement européen) sur l'état d'avancement du projet de directive européenne sur les travailleurs des plateformes.

Romain L’Hostis : Nous avions déjà eu l’occasion d’analyser cette législation sur les travailleurs des plateformes, alors que la directive européenne à ce propos était en négociation au Parlement européen. Depuis, le texte a été voté et adopté par les députés européens en février dernier. A présent, c’est le Conseil de l’UE qui examine ce texte avant le vote pour son adoption finale. Leïla Chaibi, êtes-vous satisfaite du chemin parcouru jusqu’ici ? Est-ce que le texte dans son état actuel correspond à vos objectifs ?

Leïla Chaibi : Le texte tel que voté par le Parlement européen début février correspond complètement à ce qu’on attendait. Juste petite précision sur le processus législatif : le Parlement européen s’est prononcé sur la base de la proposition de la Commission européenne de décembre 2021. En gros, la Commission a envoyé le texte en même temps, en parallèle, au Parlement et au Conseil de l’UE. Simplement, au Parlement européen on a été plus rapide que le Conseil. Une fois que chacun, Conseil et Parlement, se met d’accord, on se réunira dans ce qu’on appelle un trilogue. Et là, ce sera la dernière étape de négociation qui donnera naissance à la directive telle qu’adoptée, et telle que les Etats-membres devront la transposer. Mais si on reste sur le texte voté au Parlement européen, c’est une base de négociation avec le Conseil qui est très satisfaisante, qui va largement au delà, même des ambitions qu’on avait au départ. Pourquoi ? La Commission européenne proposait un principe de présomption de salariat, sauf que dans cette présomption de salariat, il y avait des critères à remplir pour que les travailleurs des plateformes soient sous statut salarié. Il fallait prouver qu’à la fois ils pouvaient pas fixer leur tarifs, que la plateforme leur imposait un équipement, il y avait plusieurs critères de subordination, et quand deux de ces critères sur 5 étaient remplis, là il y avait présomption de salariat. Le vrai progrès dans la position du Parlement européen : c’est que le Parlement européen dit “il y a une présomption de salariat. Pour qu’elle soit déclenchée, il n’est pas question de critères quels qu’ils soient. Elle est déclenchée de base, par défaut. Par contre, si la plateforme veut prouver que les travailleurs sont vraiment des indépendants, (car ça existe des plateformes qui font seulement de la mise en relation), dans ce cas là les plateformes pourront totalement continuer à travailler avec des indépendants. Mais c’est aux plateformes de prouver qu’il s’agit bien de travailleurs indépendants.

R. L. : Donc la grande réalisation de cette directive serait de considérer dès le départ qu’absolument tous les travailleurs des plateformes sont potentiellement dans une relation de salariat avec la plateforme qui travaille avec eux ?

L. C. : C’est ça. Sans que ce soit aux travailleurs de le prouver. Car aujourd’hui la situation c’est laquelle ? Aujourd’hui, concrètement les chauffeurs VTC par exemple qui travaillent pour Uber, qui, au départ ont cru à ce que leur disait Uber - ont cru qu’ils allaient être entrepreneurs, chefs d’entreprise - eh bah ils se sont rendus compte qu’ils étaient en vérité subordonnés à la plateformes, qu’ils ne choisissaient pas leur tarifs, qu’ils n’avaient aucun contrôle sur l'algorithme, et sur “comment ça se fait que moi je n’ai que des petites courses alors que mon voisin il a des grosses courses ; pourquoi il y a un client à 1km est dirigé vers moi et pas mon voisin ou inversement”. Ce qui change avec la proposition de directive validée par le Parlement européen, c’est que ce n’est plus au travailleur de faire valoir la réalité de leur statut, c’est que par défaut ils sont considérés comme salariés, sauf si la plateforme prouve l’inverse.

R. L. : La question maintenant est donc de savoir s’il sera compliqué ou non pour ces plateformes de prouver si ce sont réellement des indépendants ou non ? Car la réalité peut être radicalement différente.

L. C. : C’est ça, en fait tout est justement une question de réalité. C’est-à-dire que ce qui définit la relation de travail entre un travailleur et une plateforme, ce n’est pas le bon vouloir des parties, ce n’est pas ce que les parties voudraient que soit cette relation de travail. Ce n’est pas parce que je dis “tu es mon salarié” que la personne en face est un salarié. Ce n’est pas parce que je dis “je veux être indépendant” que je le suis. Mais ce qui définit la relation de travail ce sont les faits objectifs : il y a des plateformes par exemple Doctolib, si un médecin inscrit sur Doctolib décide de fermer son cabinet le mercredi et le jeudi, on ne va pas lui couper ses honoraires, on ne va pas lui fermer son cabinet. Dans ce cas là, je suis Doctolib je suis soumis à la présomption de salariat. Mais j’apporte les éléments et je peux les amener de façon légitime car ils sont réellement indépendants les médecins, la plateforme fait simplement de la mise en relation. Une fois que j’ai apporté les éléments, OK j’ai le cachet pour continuer à travailler avec des indépendants. Pour répondre à votre question, si je m’appelle Deliveroo ou Uber, et que je veux continuer à travailler avec des indépendants, il n’y a qu’une solution c’est de faire en sorte que mes travailleurs soient vraiment des indépendants.

R. L. : Qu’en est-il à présent des travailleurs des plateformes qui seraient de vrais indépendants. On a commencé à en parler. J’ai vu que certains Etats-membres de l’UE craignent que cette directive ne soit trop stricte, et ne conduise à reclasser des vrais indépendants dans la case de la présomption salariale, à tord finalement. Que pensez-vous de cet argument ?

L. C. : Je pense que cela peut être une crainte, mais cette crainte est surmontée par la réfragabilité. C’est-à-dire que l’on a une présomption de salariat - article 3, article 4 - qui est réfragable, c’est-à-dire qu’elle peut être contestée - article 5 -. Et donc dans la directive, dans le texte de loi, il inclut la façon pour les plateformes de contester la présomption de salariat. Actuellement tout repose sur les épaules des travailleurs, qui sont précaires, qui, même une fois que le juge leur a donné raison, il ne donne pas raison à l’ensemble des salariés. La différence c’est que celui qui est en situation de subordonner l’autre, de subordonner les travailleurs, il est en situation de domination, et ce sera à lui, à la plateforme de prouver que ces travailleurs sont indépendants. Et il n’y aura aucun problème à partir du moment où ce sont de réels indépendants, et pas de faux indépendants. Donc je veux rassurer les travailleurs qui sont de réels indépendants.

R. L. : Vous avez eu des retours de la part de certains travailleurs des plateformes vis-à-vis de cette directive ?

L. C. : Oui, toutes les avancées que l’on a obtenu là dessus, on ne les aurait jamais obtenu sans l’implication des principaux concernés : les travailleurs. Ils se sont beaucoup mobilisés. Quand je dis travailleurs, je parle des livreurs de repas des 4 coins de l’Europe, à commencer par juste à Bruxelles, il y a une maison des livreurs, à quelques mètres du Parlement, où quand on a eu le vote, on est allés fêter ça avec eux, les livreurs qui étaient là. Souvent c’est très compliqué de faire savoir ce que l’on fait dans les arcanes des institutions européennes. Sur ce sujet, on a réussi en quelque sorte à casser les murs des institutions et à le rendre lisible, et à faire en sorte qu’il soit approprié par les travailleurs eux-mêmes. Maintenant on leur explique que ce n’est pas fini, qu’il reste encore une étape.

R. L. : Quel est le risque maintenant selon vous ? Est-ce que cela serait que le Conseil de l’UE oriente le texte vers un autre objectif ?

L. C. : On sait que la position qui va sortir du Conseil de l’UE ne sera pas satisfaisante. Mais la position du Conseil de l’UE sera seulement la position du Conseil de l’UE, ce ne sera pas la directive.

R. L. : Là en ce moment le Conseil de l’UE est sous présidence suédoise. Je crois avoir vu que la Suède a une position libérale sur ce texte. Qu’est-ce que cela veut dire ? Moins de contraintes juridiques sur les plateformes ?

L. C. : Je vous parlais des critères : la Commission européenne a dit “il faut 2 critères”. Le Parlement a dit “nous on en veut zéro”. Le Conseil en ce moment est en train de parler d’avoir 3 voire 4 critères. Donc les négociations sont très difficiles. Heureusement au Conseil on a un groupe d’Etats qui ne lâche rien : menés par l’Espagne qui est leader en matière de protection des travailleurs des plateformes.

R. L. : L’Espagne qui va d’ailleurs prendre la présidence du Conseil de l’UE au début de l’été 2023.

L. C. : C’est là où je voulais en venir justement. L’Espagne a été le 1er pays de l’UE à mettre en place une loi pour forcer à salarier les livreurs dans le secteur de la livraison de repas à domicile. Et en juillet qui prend la présidence du Conseil ? C’est l’Espagne. Donc il faut que la position du Conseil soit la moins catastrophique possible, parce qu’ensuite qu’est-ce qui se passe ? Une fois que le Conseil a sa position, le Parlement se réunit avec le Conseil dans ce qu’on appelle un trilogue. Et là la Présidence décidera de faire pencher les négociations plutôt du côté du Conseil ou plutôt du côté du Parlement, lâcher, être un peu plus souple. Et si on fait ça sous présidence espagnole, c’est de très très bonne augure pour une directive ambitieuse. On a beaucoup travaillé avec Just Eat, cette plateforme de livraison de repas qui fonctionne sur un modèle salarié. En ce moment en France ils sont obligés de mettre la clé sous la porte, ils sont obligés de licencier massivement, parce que le modèle, l’environnement juridique est fait pour des plateformes qui utilise le statut d’indépendant de façon frauduleuse : Uber, Deliveroo. En Espagne où c’est l’inverse, Just Eat sont numéro 1, et c’est Deliveroo qui a quitté le pays. Donc, ce projet de directive il est bon pour les travailleurs indépendants dont l’indépendance est respectée, pour les faux indépendants qui deviennent salariés, et il est bon pour le business, car on évite les situations de concurrence déloyale comme il en existe actuellement.

R. L. : Merci Leïla Chaibi.