Euan Walker est chargé de missions internationales à Mines Paris – PSL et assistant de recherche et d’enseignement à l’ESSEC. Diplômé en histoire et en sciences politiques de Durham University et de la Ruprecht-Karls Universität Heidelberg, il poursuit actuellement un master en économie et politique publique à l'ESCP. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
Cette semaine, Euan Walker et Laurence Aubron discutent des récentes négociations concernant le nouveau pacte européen sur la migration ainsi que des projets visant à renforcer le partenariat entre l'UE et la Tunisie.
Pour en revenir à l’actualité européenne de la semaine, l’Europe a commencé à se prononcer sur l’aboutissement d’un nouveau pacte sur la migration…
En effet : bien que la réforme du droit d’asile soit sur la table européenne depuis 2019 et tourne en rond, elle a connu une légère avancée avec la conclusion des négociations au Conseil de l’Union européenne le 8 juin 2023.
Dans l’ensemble, les États membres de l’UE sont parvenus à se mettre d’accord sur les principaux piliers du système d'asile de l'Union en termes de responsabilité, de solidarité et des règles de procédure à suivre. Cependant, deux s'opposent à l'accord : la Hongrie et la Pologne.
Pouvez-vous nous décrire les mesures clé discutées lors de ces négociations ?
Deux dispositions fort controversées sont à souligner d’après les spécialistes. La première prévoit l'envoi de migrant·es dans des pays tiers sur le modèle du Royaume-Uni et du Danemark, où un pays tiers, en l'occurrence le Rwanda, est rémunéré pour accepter des migrants qui n'ont pas entamé de procédure d'asile.
La deuxième disposition est un système de redistribution volontaire visant à alléger le fardeau qui pèse sur les pays de première ligne. L’idée est de répartir les migrant·es entre les autres États membres de l'UE ou en indemnisant le pays d'arrivée par un versement unique de 20 000 euros par migrant·e.
Les 27 de l’UE sont-ils tous en faveur de ces dispositions ?
Les principales oppositions viennent des pays d'Europe centrale. En particulier la Hongrie, qui considère ce système de redistribution volontaire injuste, lui-même ne voulant pas accueillir de migrant·es sur son territoire. C'est bien sûr une instrumentalisation politique puisque dans les faits, il y en a.
Pour ce qui en est des modalités de gestion du droit d'asile, le journal conservateur allemandFAZ estime qu’environ 15 ou 16 États membres sont favorables à la suppression de la condition selon laquelle les migrant·es envoyé·es dans des pays tiers doivent avoir une relation avec ce pays. L'Autriche, dont la coalition gouvernementale est dominée par les conservateur·rices, par exemple, a subordonné son vote à la suppression de cette condition.
Hormis ces anxiétés nationales, d’autres inquiétudes quant aux conséquences négatives potentielles d'une telle disposition d'asile sont concevables. C’est en particulier le cas de l'établissement d'un modèle commercial pour des pays tiers comme le Rwanda. On pourrait aussi soulever le risque paradoxal d'attirer davantage de migrant·es si le programme de rapatriement ne parvient pas à en expulser un nombre significatif. Cette thématique, qui semble évoquer si souvent des paniques morales, et des arguments électoraux, n'est pas prête de disparaître.
En lien avec ces débats autour de la gestion des migrants, Ursula von der Leyen a récemment annoncé vouloir renforcer les partenariats entre l’UE et la Tunisie…
En effet, la présidente de la Commission européenne, la Première ministre italienne Giorgia Meloni et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, se sont rendus à Tunis dans le but de fournir une assistance financière à hauteur d’un milliard d’euros au pays, qui fait actuellement face à une crise d’endettement inédite. Le but de ce soutien ? S'assurer que la Tunisie renforce ses efforts pour lutter contre l'immigration illégale vers l'Europe qui risque d’être exacerbé par la crise économique. Parmi les fonds de soutien, Mme Von der Leyen a annoncé son souhait «d’immédiatement » fournir de 100 millions d'euros à la Tunisie dans l’espoir de renforcer les efforts de contrôle de ses frontières et de sauvetage de migrants.
Cette stratégie peut-elle s’avérer efficace en termes de gestion migratoire ?
Ceci reste encore à voir, mais ce qui est sûr, c'est que cette rencontre renforce l’idée que la migration est devenu un levier diplomatique qui dépasse les impératifs moraux. L'Europe, en particulier l'Italie, est préoccupée par la Tunisie en raison de sa proximité géographique avec le pays, mais rien ne promet que ses promesses de soutiens financiers ne mettent une fin à ses inquiétudes. En effet, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux a critiqué la visite européenne en la qualifiant de "chantage" et de "marchandage". Que ce soit au Conseil de l’Union européenne ou lors des visites diplomatiques extra-européennes, l’importance de l’enjeu migratoire ne fait que croître et les stratégies pour y remédier semblent semer plus de doutes que d’espoir…
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Entretien réalisé par Laurence Aubron.