Chine - Europe : entre tensions et perspectives

La montée en puissance nucléaire de la Chine

Photo de Ziang Guo sur Unsplash La montée en puissance nucléaire de la Chine
Photo de Ziang Guo sur Unsplash

Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur Euradiosur les relations euro-chinoises.

Below you will find the English version of this article.

Bonjour Elisa, pendant cette période, la question de la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine revient souvent, comme vous l’avez évoqué dans l’épisode précédent. Aujourd’hui, nous allons nous intéresser plus particulièrement aux enjeux liés au nucléaire.

La Chine connaît une expansion nucléaire rapide, à la fois militaire et technologique, qui bouleverse les équilibres stratégiques mondiaux. Son arsenal stratégique s’accroît à un rythme soutenu : selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), Pékin disposerait d’environ 600 ogives en 2025, avec une hausse annuelle de 80 à 100 ogives depuis 2023. Cette croissance s’accompagne de la construction de nouveaux silos de missiles intercontinentaux et d’une modernisation globale de ses forces, incluant de nouveaux vecteurs maritimes, terrestres et aériens. Les experts estiment que la Chine pourrait atteindre 1 000 ogives d’ici 2030 et jusqu’à 1 500 en 2035, traduisant une transformation profonde de sa doctrine de dissuasion.

La Chine développe également son secteur nucléaire sur le plan civil, n’est-ce pas ?

Sur le plan civil, la Chine déploie un programme nucléaire d’une ampleur inédite. En 2024-2025, elle comptait déjà plus d’une centaine de réacteurs en service ou en construction, représentant une capacité installée d’environ 113 millions de kilowatts. Les projections suggèrent qu’elle pourrait devenir, d’ici 2030, le premier producteur mondial d’énergie nucléaire, avec une capacité qui pourrait dépasser les 200 gigawatts à l’horizon 2040. Ce développement est présenté par Pékin comme un levier de transition énergétique et un instrument de compétitivité industrielle, combinant réduction des émissions de CO₂, maîtrise des coûts, développement de technologies nationales et potentiel d’exportation.

Quels sont donc les enjeux liés à la montée en puissance nucléaire de la Chine ?

Cette montée en puissance, tant militaire que civile, suscite d’importants enjeux géopolitiques. La modernisation rapide et peu transparente des capacités nucléaires chinoises alimente les craintes quant à la stabilité stratégique mondiale et remet en question l’équilibre de la dissuasion entre grandes puissances. Dans le domaine civil, la position dominante de la Chine influence les chaînes d’approvisionnement, les standards internationaux de sûreté et intensifie la concurrence avec les acteurs occidentaux.

Et l’Union européenne, que fait-elle pour répondre à l’expansion nucléaire de la Chine ?

Face à ces évolutions, l’Union européenne cherche à combiner diplomatie, normes et stratégie. Elle exprime son inquiétude face à l’expansion nucléaire chinoise et appelle Pékin à plus de transparence et à un dialogue sur la maîtrise des armements. Dans le civil, l’UE collabore sur la non-prolifération et soutient des programmes d’assistance technique, illustrant un équilibre entre coopération et vigilance. La Chine y est perçue à la fois comme partenaire, concurrent et rival systémique, ce qui pousse l’UE à limiter ses dépendances stratégiques et à protéger ses technologies sensibles. Mais son action reste contrainte par l’interdépendance économique et énergétique et par des divergences internes, le nucléaire civil illustrant ce dilemme entre sécurité et coopération.

Et ces enjeux concernent-ils uniquement l’Union européenne ?

À l’échelle mondiale, le nucléaire se relance fortement. La « World Nuclear Exhibition » témoigne de l’intérêt croissant, tandis que les investissements mondiaux ont augmenté de 50% en cinq ans. Aux États-Unis, un plan de 80 à 100 milliards de dollars vise à construire de nouveaux réacteurs, motivé par les besoins énergétiques liés à l’intelligence artificielle. Des partenariats internationaux, avec le Japon et la Corée du Sud, illustrent l’émergence d’un « nucléaire occidental » pour concurrencer la Russie et la Chine, dominantes sur le marché mondial.

L’Europe, encore divisée et dépendante de l’uranium russe, commence toutefois à se coordonner, avec quatorze États membres dans l’Alliance européenne pour le nucléaire et des financements pour les petits réacteurs modulaires ou la fusion. L’intelligence artificielle pourrait accélérer cette relance en optimisant la conception et la maintenance des centrales, tandis que le nucléaire trouve de nouvelles applications dans la médecine, l’agriculture et la propulsion spatiale.

Quelles sont les conséquences de la montée en puissance nucléaire de la Chine ?

La montée en puissance de la Chine et la relance mondiale du nucléaire redessinent les rapports de force. L’UE doit définir une politique nucléaire cohérente pour garantir sa sécurité, soutenir sa transition énergétique et préserver son influence dans un contexte où le nucléaire redevient un levier majeur de puissance. 

Un entretien réalisé par Laurence Aubron. 

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English version :

Junior consultant in public affairs, Elisa Camia specializes in EU-China relations, particularly in the economic and geopolitical sectors. She provides a monthly update on Euradio about EU-China relations.

Hello Elisa, during this period, the issue of Europe’s dependence on China often comes up, as you mentioned in the previous episode. Today, we’ll take a closer look at the challenges related to the nuclear sector.

China is experiencing a rapid nuclear expansion, both military and technological, which is reshaping global strategic balances. Its strategic arsenal is growing at a steady pace: according to the Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Beijing is expected to have around 600 nuclear warheads by 2025, with an annual increase of 80 to 100 warheads since 2023. This growth is accompanied by the construction of new intercontinental missile silos and a comprehensive modernization of its forces, including new sea-, land-, and air-based delivery systems. Experts estimate that China could reach 1,000 warheads by 2030 and up to 1,500 by 2035, reflecting a profound transformation of its deterrence doctrine.

China is also developing its civilian nuclear sector, isn’t it?

In the civilian sector, China is rolling out an unprecedented nuclear program. By 2024-2025, it already had over a hundred reactors in operation or under construction, representing an installed capacity of around 113 million kilowatts. Projections suggest that by 2030, China could become the world’s largest producer of nuclear energy, with capacity potentially exceeding 200 gigawatts by 2040. This development is presented by Beijing as a lever for energy transition and a tool for industrial competitiveness, combining CO₂ emissions reduction, cost control, development of domestic technologies, and export potential.

What are the key challenges posed by China’s nuclear rise?

China’s growing nuclear power, both military and civilian, presents major geopolitical challenges. The fast and opaque modernization of its nuclear capabilities raises concerns about global strategic stability and puts the balance of deterrence among major powers into question. In the civilian sector, China’s dominant position affects supply chains, international safety standards, and intensifies competition with Western actors.

How is the European Union addressing China’s nuclear expansion?

Facing these developments, the European Union aims to combine diplomacy, standards, and strategy. It has expressed concern over China’s nuclear expansion and calls on Beijing for greater transparency and dialogue on arms control. In the civilian sector, the EU collaborates on non-proliferation and supports technical assistance programs, reflecting a balance between cooperation and vigilance. China is seen simultaneously as a partner, a competitor, and a systemic rival, prompting the EU to limit strategic dependencies and protect its sensitive technologies. However, its actions remain constrained by economic and energy interdependence and internal divergences, with civilian nuclear cooperation highlighting this dilemma between security and collaboration.

Are these issues limited to the European Union?

At the global level, nuclear energy is experiencing a strong revival. The World Nuclear Exhibition reflects this growing interest, while global investments have increased by 50% over the past five years. In the United States, an $80 to $100 billion plan aims to build new reactors, driven by energy needs related to artificial intelligence. International partnerships with Japan and South Korea highlight the emergence of a “Western nuclear” approach to compete with Russia and China, which dominate the global market.

Europe, still divided and dependent on Russian uranium, is beginning to coordinate, with fourteen member states in the European Nuclear Alliance and funding for small modular reactors and fusion. Artificial intelligence could accelerate this revival by optimizing the design and maintenance of plants, while nuclear technology is finding new applications in medicine, agriculture, and space propulsion.

What are the consequences of China’s rising nuclear power?

China’s rise and the global revival of nuclear energy are reshaping the balance of power. The EU must define a coherent nuclear policy to ensure its security, support its energy transition, and maintain its influence in a context where nuclear power is once again becoming a major instrument of strength.

An interview by Laurence Aubron.