Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Aujourd’hui, vous allez poursuivre l’exploration des outils que l’Europe met en place pour cadrer les activités numériques liées à la smart city. Il n’y a donc pas que le RGPD, dont nous avons parlé la semaine dernière ?
En effet Laurence, le RGPD est une brique essentielle car il évite qu’on fasse n’importe quoi avec les données collectées au sein de l’espace public dans le cadre des projets de ville intelligente. Il permet de protéger les données personnelles, et donc notre vie privée. Cela étant posé, on ne perd pas de vue pour autant que l’exploitation des données, notamment dans le contexte de la smart city, est un vecteur d’innovation majeur, et puissant. La collectivité a un rôle à jouer pour se poser en tiers de confiance et ne pas laisser cette innovation à la main d’entreprises privées. Du moins pas uniquement. C’est pourquoi l’Europe cherche à poser un cadre qui la favorise, tout en en fixant les règles du jeu.
C’est donc l’objectif de 2 directives : le Data Act et le Data Governance Act. On se doute que cela parle de données, mais quelle est la distinction entre les 2 ?
Ces 2 règlements, qui datent de 2023, sont complémentaires et s’inscrivent dans la stratégie européenne pour les données. Ils incarnent la vision qu’a l’Europe de l’usage de la donnée, et visent à renforcer sa souveraineté numérique. Le Data Act, ou Règlement sur les Données, a pour objectif d’établir des règles équitables entre ceux qui génèrent des données (c’est-à-dire vous et moi), et les utilisateurs de ces données, c’est-à-dire les entreprises, et même les organismes publics. Et pour aller plus loin, le Data Governance Act ou Règlement sur la Gouvernance des données propose un cadre pour en favoriser tout de même la circulation.
Donc le Data Act est là pour décrire comment les uns peuvent exploiter les données des autres, c’est bien cela ?
Tout à fait, il précise qui peut utiliser quelles données et dans quelles conditions. Et il cible plus particulièrement le domaine des objets connectés, et adresse donc particulièrement les projets de territoire intelligent. Un des volets importants concerne l’interopérabilité des données, comme celle des outils qui les gèrent. C’est-à-dire que les fabricants de solutions, et les prestataires de services, doivent s’assurer que les données qu’ils collectent pourront être utilisées demain par d’autres entreprises. En faisant cela, on espère 3 choses. Premièrement : garantir que les utilisateurs pourront accéder aux données qu’ils ont générées. Deuxièmement : par ce biais, faciliter les changements de fournisseurs et leur éviter de rester captifs. Troisièmement : favoriser de nouveaux usages en permettant à des tiers d’accéder à des données agrégées.
Et le Data Governance Act adresserait donc ce dernier point, n’est ce pas ?
Oui, entre-autres. C’est un effort de structuration du marché européen de la donnée, via la création des "espaces européens communs de données" sur diverses thématiques, par exemple la santé, l’environnement, l’agriculture, la mobilité ou encore la culture. Le but est qu’il devienne plus facile de partager les données de manière fiable et sécurisée en favorisant un climat de confiance dans les intermédiaires. Et il s’agit bien ici de partage volontaire de données entre des acteurs d’un même secteur, y compris quand il y a des enjeux commerciaux, et y compris entre acteurs du secteur public et du secteur privé. Ainsi, il vise à encourager les organismes du secteur public à réutiliser leurs données ainsi qu’à proposer un cadre pour améliorer leur disponibilité, notamment au service de l’intérêt général.
En quoi est-ce utile aux collectivités et comment les mettent elles en œuvre ?
Et bien, cet « altruisme des données » doit renforcer la capacité des territoires à piloter les politiques publiques grâce aux données, par exemple en matière d’environnement ou de transition énergétique. Certaines collectivités choisissent de créer leurs propres initiatives en ce sens, mais de son coté l’Europe va jusqu’à proposer des environnements, comme par exemple le « European Data Space for Smart and Sustainable Cities and Communities », une plateforme sécurisée et interopérable, où l’on peut justement concentrer et partager de la donnée qui auparavant était disséminée dans divers espaces.
L’Europe est donc en fait très active sur ces sujets de régulation et d’exploitation du numérique, c’est plutôt positif !
Oui Laurence, d’autant que les 2 outils que je viens de décrire ne sont qu’une petite partie de ce qui est en train d’être mis en place. Nous pourrions aussi citer 2 autres directives complémentaires très importantes. La première c’est le Digital Services Act. Il a pour objectif de réguler les contenus publiés sur internet, avec bien sûr en première cible les réseaux sociaux et la lutte contre la désinformation et la haine en ligne. La seconde est le Digital Markets Act qui vise quant à lui les grandes plateformes et leurs pratiques commerciales anticoncurrentielles. C’est donc tout un arsenal juridique qui se met à la disposition des autorités et qui montre que l’Europe a non seulement une bonne compréhension des enjeux mais surtout une vision de la manière dont le numérique peut et doit interagir avec la vie citoyenne.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.