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L'euro numérique, une réponse stratégique aux défis de l'Europe des paiements

Photo de Pixabay sur Pexels L'euro numérique, une réponse stratégique aux défis de l'Europe des paiements
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Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Confrontations Europe a récemment publié une tribune signée par Erick Lacourrège, Directeur général des moyens de paiement à la Banque de France, intitulée : “L’euro numérique, une réponse stratégique aux défis de l’Europe des paiements”.

Alors que les débats s’intensifient autour de ce projet ambitieux, de nombreuses questions subsistent sur sa nature, ses objectifs et ses implications concrètes. Dans cet épisode, nous allons tenter d’éclairer ce sujet encore méconnu.

Pourquoi l’Union européenne a-t-elle besoin d’un euro numérique, alors que des moyens de paiement numériques existent déjà ?

Effectivement, nous avons déjà des moyens de paiement numériques très efficaces, mais la question de l’euro numérique est bien plus stratégique. Aujourd’hui, la majorité des paiements numériques en Europe passent par des infrastructures contrôlées par des acteurs non-européens, comme Visa, Mastercard, Apple ou Google. Cela pose un réel problème de souveraineté : dépendre d’acteurs extérieurs pour faire circuler notre monnaie n’est pas soutenable à long terme.


 L’euro numérique permettrait à l’Europe de reprendre la main sur un outil fondamental : la monnaie centrale, dans sa version numérique. Ce ne serait pas simplement un gadget technologique, mais une infrastructure publique, gérée par l’Eurosystème, et accessible à tous. C’est une façon de garantir l’indépendance de nos paiements, de protéger nos données, et de maintenir un lien direct entre les citoyens et leur banque centrale, même dans l’espace numérique.


Est-ce l’euro numérique vise à remplacer les espèces ?

Pas du tout. Les espèces, aujourd’hui, sont la seule forme de monnaie émise directement par la banque centrale et accessible à tous. Elles garantissent l’anonymat, la liberté de choix, et permettent à chacun de participer à l’économie, même sans compte bancaire. Mais leur usage diminue très fortement — en France, on est passé de 68 % à 43 % des paiements en espèces en quelques années.

L’euro numérique permettrait de préserver ce lien public avec la monnaie centrale, mais dans un format adapté aux usages numériques. Il pourrait garantir un niveau élevé de confidentialité et rester gratuit pour l’utilisateur. C’est donc une manière de prolonger les principes d’accessibilité et d’inclusion que représentent les espèces, tout en s’adaptant à la réalité d’une économie de plus en plus dématérialisée.


Erick Lacourrège évoque un débat démocratique en cours autour de l’euro numérique. Selon vous, que doit faire l’Union européenne pour réussir ce projet ?

L’euro numérique n’est pas juste un projet technique : c’est un choix politique. Il touche à des valeurs clés de l’Union : la souveraineté, la vie privée, l’inclusion. Pour que ce projet réussisse, il faut d’abord un cadre législatif solide, adopté rapidement, pour donner un cap clair à l’Eurosystème et aux acteurs du marché. Ensuite, il faut de la transparence et de la pédagogie. Ce projet doit être compris par les citoyens, accepté, et co-construit avec les parties prenantes : banques, commerçants, associations.

Et enfin, il faut s’assurer que l’euro numérique s’intègre dans un écosystème européen plus large. Il doit être compatible avec les initiatives privées comme EPI ou Wero, pour renforcer l’autonomie technologique de l’Europe, sans créer de doublons.

C’est une opportunité unique de bâtir une infrastructure européenne de paiement du 21e siècle, et il ne faut pas la manquer.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.