Échos d'Europe

Protectionnisme, découplage et stratégie industrielle : l'Europe doit faire des choix

Photo de Photo By: Kaboompics de Pexels Protectionnisme, découplage et stratégie industrielle : l'Europe doit faire des choix
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Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Le 1er août dernier, Confrontations Europe publiait un entretien avec Mathieu Mucherie, chef économiste chez BNP Paribas Cardif. Au cœur de cette interview, une question brûlante : quels sont les effets de la guerre commerciale lancée par Donald Trump ? Et surtout, comment l’Union européenne peut-elle s’y adapter sans renier ses principes ni perdre son autonomie stratégique ?

Dans cet épisode, on vous propose de décortiquer cette analyse, d’en tirer des pistes d’action… et de mieux comprendre les marges de manœuvre, mais aussi les vulnérabilités, d’une Europe prise entre tensions économiques mondiales et pressions politiques croissantes.

L’Union européenne est-elle suffisamment armée pour faire face aux chocs de la guerre commerciale ?

Pas vraiment, selon Mathieu Mucherie.

L’Europe, bien plus ouverte que les États-Unis ou la Chine, subit de plein fouet les contrecoups des tensions commerciales mondiales, sans avoir les leviers de souveraineté qui permettraient de compenser. Contrairement à la Chine, qui a su réorienter ses exportations vers l’Asie ou l’Afrique, ou aux États-Unis, qui peuvent encaisser un "mini-blocus" sans s’effondrer, l’Europe manque de flexibilité.

De plus, les hausses de taux d’intérêt, combinées à un euro fort, étranglent la compétitivité de notre industrie. Les petites et moyennes entreprises, notamment en France ou en Allemagne, sont prises en étau entre coûts de financement élevés, inflation résiduelle, concurrence chinoise accrue et instabilité géopolitique.

Autrement dit, l’UE ne semble ni préparée, ni unifiée, ni protégée.

L’Europe devrait-elle adopter une approche plus affirmée ou même plus indépendante dans sa stratégie commerciale ?

Oui, et c’est peut-être l’un des messages les plus forts de l’échange.

Mathieu Mucherie propose, de manière provocatrice mais lucide, que l’Europe abandonne son tarif extérieur commun, pour mieux mettre en évidence le coût réel du protectionnisme américain. En d’autres termes : jouer la carte du libre-échange radical pour montrer que ce sont les États-Unis qui s’enferment.

Il souligne aussi un problème structurel : il n’existe pas une seule Europe commerciale, mais plusieurs visions nationales, parfois contradictoires, selon qu’on parle à Paris, Berlin, Rome ou Varsovie. Cette absence de cohésion affaiblit notre posture face à des blocs plus homogènes comme la Chine ou les États-Unis.

Défendre les « intérêts européens » devient difficile si l’on ne sait pas les définir clairement.

Quels leviers l’UE devrait-elle activer pour sortir par le haut de ce contexte de désordre commercial mondial ?

Mathieu Mucherie esquisse trois pistes :

Premièrement, la détente monétaire. Il faut que la BCE baisse ses taux et relance un assouplissement quantitatif, afin de réduire le coût du crédit, surtout pour les PME. Les taux actuels, trop élevés par rapport à la croissance, pénalisent toute relance industrielle ou énergétique.

Deuxièmement, la subsidiarité et les projets locaux. L’Europe devrait s’inspirer des modèles décentralisés, comme la Suisse ou le Danemark, où les projets partent du terrain. La centralisation technocratique ne favorise ni l’innovation, ni l’efficacité.

Troisièmement, la participation salariale. Pour relancer la productivité et réconcilier citoyens et entreprises, il est urgent de revoir les dispositifs de participation et d’intéressement. Il ne s’agit pas d’une utopie sociale, mais d’un levier économique efficace, peu coûteux, et profondément européen.

En parallèle, un rapprochement stratégique avec la Chine, sans naïveté politique, serait utile : pour accéder à un marché immense, mais aussi pour ne pas laisser les Américains dicter seuls les règles du jeu.

Ainsi, ce qui ressort de cet entretien avec Mathieu Mucherie, c’est une invitation à réarmer stratégiquement l’Union européenne, pas seulement militairement ou industriellement, mais aussi monétairement, commercialement, et institutionnellement.

Face au désordre américain et au recentrage chinois, l’Europe doit se réinventer, sous peine de devenir un terrain de jeu plutôt qu’un joueur.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.