L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Ukraine - États-Unis : la semaine où tout a basculé

© Mykhaylo Markiv / The Presidential Administration of Ukraine - Wikimedia Commons Ukraine - États-Unis : la semaine où tout a basculé
© Mykhaylo Markiv / The Presidential Administration of Ukraine - Wikimedia Commons

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

La semaine dernière les Européens et l’Ukraine ont été choqués par l’altercation entre le président Volodymyr Zelensky et Donald Trump dans le Bureau ovale. Comment en est-on arrivé là ?

Pour bien comprendre ce qu’il s’est passé vendredi dans le bureau ovale, il faut revenir au début de la semaine, lundi dernier, lorsqu’à l’occasion de la célébration des trois ans de la guerre en Ukraine, nous avons assisté à une séquence diplomatique de grande ampleur. La plupart des dirigeants européens étaient à Kiev pour montrer leur soutien au président ukrainien. Et Emmanuel Macron lui était à Washington pour rencontrer le président américain, et représenter les intérêts de l’Europe et de l’Ukraine afin d’ essayer de convaincre les États-Unis de tout faire pour que le cessez le feu et la paix ne se soient pas négociés sans nous, et encore moins sans l’Ukraine. Et au même moment, au siège des Nations unies, des votes historiques avaient lieu.

Que s’est-il passé à l’ONU ?

Deux résolutions ont été soumises au vote de l’Assemblée générale des Nations Unies. La première était une résolution portée par les États-Unis, dans laquelle ils appelaient au cessez le feu immédiat, sans toutefois mentionner l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ni la Russie comme agresseur. Les Européens sont parvenus à ajouter trois amendements à cette résolution afin que soit mentionné le retrait total des forces russes du territoire ukrainien, et le retour aux frontières d’avant 2022, conformément aux principes de la charte des Nations unies. L’Assemblée générale a voté cette résolution amendée, mais les États-Unis et la Russie ont voté contre. Juste après, l’Ukraine a elle aussi déposé une résolution, soutenue par les Européens, également votée par l’Assemblée, mais sans le soutien encore une fois des États-Unis de la Russie. Mais ce n’est pas ça le plus intéressant. Au même moment au sein du conseil de sécurité, les États-Unis ont à nouveau déposé la même résolution, sans les amendements européens. La France et le Royaume-Uni ont tenté de les rajouter, mais ils ont été rejetés. La résolution des États-Unis a donc été votée par le conseil de sécurité.

Qu’est-ce que cela implique ?

Déjà, il faut noter que c’est la première résolution votée par le conseil de sécurité des Nations unies sur le conflit ukrainien depuis 2022. Et le fait que ce soit une résolution qui ne mentionne pas la Russie comme agresseur, ni l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et qu’elle ait été votée par les États-Unis et la Russie de concert sans le soutien de la France et des Britanniques, tout cela indique clairement que nous avons basculé Dans une nouvelle ère. Désormais, le narratif universellement admis autour de la guerre en Ukraine est celui qu’a toujours prôné Vladimir Poutine. Avec cette résolution les États-Unis confortent la Russie dans leur lecture du conflit, et transforment la victime en coupable.

L’acharnement du président Donald Trump sur le président ukrainien semble confirmé cette lecture.

Oui, on est face à des méthodes quasi mafieuses. Donald Trump n’a pas supporté que le président ukrainien cherche à négocier le deal sur les terres rares et les minerais ukrainiens, et qu’il exige des garanties de sécurité réelles. Pour Trump, qu’un petit pays comme l’Ukraine ose le défier, cela constitue un affront. Et il veut clairement faire payer Zelensky. Ce qui s’est passé dans le bureau ovale vendredi dernier était clairement un guet-apens, une opération de communication visant à humilier Zelensky, dans le contexte d’une tentative d’extorsion.

Et cette semaine, Donald Trump annonce suspendre toute aide financière et militaire à l’Ukraine. Mais que cherche-t-il ?

Il cherche à faire pression. Depuis le début de la guerre, tout le monde dit que si les États-Unis lâchent l’Ukraine, la guerre devrait s’arrêter très rapidement, au profit de la Russie bien sûr. Mais ce que ni Poutine n’y Trump n’avait anticipé, c’est que leur rapprochement aurait justement pour conséquence de rapprocher aussi les Européens. Depuis 2022, même s’il y a encore des dissensions bien sûr, les Européens n’ont jamais été aussi proches d’un accord sur une défense européenne. D’ailleurs, lorsque la Finlande et la Suède demandent à rejoindre l’OTAN après avoir passé des années a chérir leur neutralité, cela montre bien que face à un ennemi commun, la solidarité européenne peut fonctionner. Mais il y a encore un long chemin à parcourir.

On entend beaucoup dire que si les États-Unis se retirent de l’OTAN, l’Europe ne sera pas en capacité de se bâtir une défense crédible dans les temps. Qu’en pensez-vous ?

Tout l’enjeu est effectivement dans la temporalité. A-t-on le temps de se réarmer ? A-t-on le temps de recruter davantage de soldats ? A-t-on le temps d’étendre la dissuasion nucléaire française au reste des pays européens ? Mais outre le temps, c’est la volonté politique qui sera déterminante. Un exemple suffit : rappelons-nous qu’en 1940, les États-Unis comptaient moins de 200 000 soldats. Cinq ans plus tard, à force d’une économie de guerre réelle et d’une volonté politique déterminante, l’armée américaine comptait plus de 8 millions de soldats. La question n’est pas de savoir si c’est possible ou non, mais si on le veut vraiment, et si on est prêt à accepter tous les coûts. La réponse que les Européens apporteront à cette question déterminera la suite de l’Histoire, non seulement de l’Europe, mais aussi du monde entier.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.