Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Les élections européennes approchent à grands pas mais les sondages montrent que la participation risque, une fois de plus, de ne pas être au rendez-vous.
Oui, la participation c’est l’enjeu majeur de cette élection. La semaine dernière, un sondage IFOP pour Fiducial et Sud Radio, montrait qu’à peine 45 % des électeurs se déclaraient prêts à aller voter aux élections européennes en juin. Et c’est chez les jeunes qu’on constate le plus de démobilisation : en France, seul 30 % des moins de 18 ans pensent aller voter le 9 juin prochain. Donc c’est très faible.
Qu’est-ce qui peut expliquer ce manque d’intérêt pour les élections européennes ?
Déjà il faut se souvenir que les élections européennes ne sont pas les plus mobilisatrices des élections, loin de là. Les taux de participation sont souvent inférieurs à ceux des élections nationales ou locales. Donc rien de nouveau à ce niveau-là. Mais il y a quand même une différence avec les élections de 2019. Il y a 5 ans, les jeunes s’étaient mobilisés pour voter majoritairement pour les partis écologistes, un peu partout en Europe. La percée des Verts se vérifiaient dans de nombreux pays, et au sein du Parlement européen. Mais cette année, on constate qu’une bonne partie de l’électorat jeune, traditionnellement à gauche, ne compte pas aller voter. Le même sondage indique par exemple que 64 % des électeurs de J.-L. Mélenchon à la présidentielle comptent s’abstenir lors des européennes. C’est énorme. Et c’est clairement un « vote sanction ».
Est-ce que le manque d’intérêt pour les européennes témoignent aussi d’un manque de connaissance de la chose européenne ?
Oui c’est certain, mais je ne pense pas qu’il y ait un manque d’intérêt. Une enquête publiée cette fois par le Parlement européen montre que 72 % des européens estiment que leur pays a bénéficié de l’adhésion à l’UE. C’est un chiffre très important. Les citoyens ont conscience de l’importance de l’UE, mais la manière dont est organisé le scrutin fait que ce sont finalement des élections davantage nationales qu’européennes, et donc ce sont surtout des considérations nationales qui prévalent dans les choix des électeurs, et aussi et surtout dans les débats qu’on entend sur ces élections.
Justement, revenons sur le scrutin et le rôle du Parlement européen. Beaucoup estiment que le Parlement européen n’a qu’un rôle secondaire et que ce ne sont pas des élections déterminantes pour l’Europe. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’effectivement le mode de scrutin favorise une
« nationalisation » des débats et confisque de facto
toute possibilité de véritablement européaniser ces élections. Il
y a plusieurs propositions qui ont été faites par le Parlement
européen pour y remédier, notamment deux principales : l’une
sur la création de listes transnationales, et l’autre sur la
création d’un média européen indépendant, diffusé partout et
dans toutes les langues, qui traiterait des questions et enjeux liés
à l’UE. Mais pour l’instant, aucune de ces propositions n’a
été retenue par le Conseil.
Concernant le rôle du Parlement, même
si ses pouvoirs sont renforcés de traités en traités, le fait
qu’il n’ait toujours pas le pouvoir d’initiative législative
réduit de facto son influence dans le processus législatif
européen. Rappelons que seule la Commission a le pouvoir de proposer
des lois au Parlement, pas l’inverse. En revanche, depuis
l’introduction dans le Traité de Lisbonne du système du
Spitzenkandidat, le rôle du Parlement est clairement établi
dans le choix du Président ou de la Présidente de la Commission
européenne.
Pouvez-vous rappeler de quoi il s’agit ?
Le système du Spitzenkandidat permet au Parlement européen d’élire le Président de la Commission sur proposition du Conseil. En d’autres termes, le Conseil propose au Parlement un candidat et celui-ci doit se prononcer ensuite pour l’élire à la tête de la Commission ou non. Mais même là, il y a matière à discuter puisqu’il y a deux versions (pour faire simple) du Spitzenkandidat en fonction de l’interprétation qu’on peut faire du Traité de Lisbonne. La première version est celle promue par les députés européens : ils veulent que le candidat proposé par le Conseil soit la tête de liste du parti qui serait arrivé en tête des élections.La seconde version, c’est celle privilégiée par le Conseil européen qui veut garder la main sur le choix du Président de la Commission.
Laquelle est appliquée ?
Les deux, mais pas de manière systématique. En 2014, le choix de Jean-Claude Juncker comme candidat à la présidence de la Commission relevait de la première version du Spitzenkandidat puisqu’il était tête de liste du Parti Populaire européen (PPE), arrivé en tête. Mais en 2019, ce fut la seconde. Manfred Weber était le candidat tête de liste du PPE, encore une fois vainqueur des élections. Mais, à la surprise générale, le Conseil a proposé Ursula Van der Leyen et elle a été élue par le Parlement. Donc tout est possible en somme, mais il faut que le Président ou la Présidente de la Commission représente d’une manière ou d’une autre la majorité parlementaire. Or, en 2024, les sondages indiquent que si le PPE et le SPD (les deux principales formations) vont se maintenir, les Verts et Renew vont en revanche perdre des sièges, quand les partis de la droite radicale (Identité & Démocratie et les Conservateurs & réformistes) vont au contraire en gagner. Donc la face du Parlement européen ne devrait pas changer radicalement, mais il est possible qu’il soit plus difficile de former des coalitions. C’est l’un des enjeux majeurs de la prochaine élection.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.