Jeanne Gohier, vous revenez aujourd’hui sur la publication du 3ème chapitre du rapport du GIEC, qui a eu lieu en début de semaine. Pouvez-vous revenir très rapidement sur ce qu’est le GIEC ?
La publication de ce 6ème rapport d’évaluation était prévue en 2021 mais elle a été retardée à cause du Covid. Le GIEC, un groupe sous l’égide de l’Organisation Météorologique Mondiale et des Nations Unies, fait figure de référence en matière de science du climat. Contrairement à ce que l’on pense et à ce que l’on dit, ses membres ne sont pas des scientifiques mais des états. Des scientifiques issus des pays membres sont mandatés pour écrire des rapports qui rassemblent toutes les connaissances scientifiques autour du climat. Tous les 7 ans, des énormes rapports d’évaluation sont publiés qui sont des résumés de toute la recherche effectuée, avec une évaluation du consensus scientifique autour des résultats et de leur probabilité.
Dans une chronique précédente vous nous aviez parlé du 1er chapitre si je ne me trompe pas, quelle différence avec le 3ème qui vient d’être publié ? Il y a un grand délai entre les deux !
Oui nous avions parlé du 1er chapitre, qui résumait les observations et les causes du dérèglement climatique. Le 2ème chapitre a été publié il y a quelques semaines, il parlait des impacts et de l’adaptation au changement climatique déjà existant et celui à venir. Le 3ème et dernier chapitre parle des moyens pour limiter le changement climatique. Ces trois chapitres, qui lorsqu’ils sont publiés font chacun plusieurs milliers de pages, sont rédigés par des groupes de travail différents. La publication est différée sans doute pour étaler dans le temps toutes les informations qui remontent, et aussi pour laisser du temps à chaque pays membre d’étudier attentivement chaque chapitre car ils jouent un rôle important une fois que l’ensemble du rapport est publié : ils doivent approuver et adopter mot à mot le résumé pour les décideurs, qui est une synthèse globale du rapport d’évaluation.
Alors qu’est-ce que nous apprend ce 3ème chapitre ?
Le mot d’ordre de ce 3ème chapitre : l’urgence d’agir. Pour limiter le réchauffement à 1,5°C, il faudrait diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et atteindre un plafond des émissions en 2025. En clair, il nous reste 3 années pour arrêter d’augmenter nos émissions de gaz à effet de serre, mais il faut commencer dès maintenant. C’est extrêmement ambitieux, pas impossible, selon les experts, mais cela implique de métamorphoser notre consommation d’énergie, en arrêtant totalement le charbon, et en réduisant d’au moins 60% notre consommation de pétrole d’ici 2050. Il faut dès aujourd’hui remplacer là où c’est possible les sources d’énergie fossile par du renouvelable, dont le coût a énormément diminué ces dernières années, ou du nucléaire.
Qu’est-ce que le GIEC dit à propos de la sobriété par rapport à l’innovation technologique ?
Ce qui est intéressant c’est que pour la première fois le GIEC laisse entendre qu’il faut réduire la demande en énergie, autrement dit faire preuve de sobriété. Elle est nécessaire pour respecter les objectifs que nous nous sommes fixés à l’Accord de Paris. La sobriété s’impose au niveau individuel, en réduisant notre consommation de viande ou la quantité de trajets motorisés que nous faisons par exemple. Cela pourrait diminuer les émissions mondiales de 40 à 70% en 2050. Le GIEC n’oppose pas l’innovation technologique à la sobriété : en réalité les deux sont nécessaires pour vraiment limiter les dégâts.
Est-ce que certains points ont retenu votre œil d’investisseur ?
Oui, en particulier l’évolution de la croissance économique si des politiques importantes de décarbonation sont mises en place : le GIEC estime que le PIB diminuerait de quelques points en 2050, entre 1 et 2% par an si nous limitons le réchauffement à 2°C. Ces chiffres peuvent sembler importants, mais ils ne prennent pas en compte tous les bénéfices économiques de ces politiques : on éviterait des événements climatiques extrêmes. Et puis le point important que je retiens, c’est qu’il faut absolument augmenter nos efforts de financement vers la transition bas-carbone : pour l’instant c’est encore insuffisant. Donc il faut investir dans les énergies renouvelables, dans les voitures électriques, dans les solutions numériques qui permettent de réduire notre consommation d’énergies fossiles. Et s’encourager les uns les autres pour s’y mettre !
Jeanne Gohier au micro de Cécile Dauguet
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici