Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un des membres du collectif de chercheurs réunis dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Bonjour, Albrecht Sonntag !
Toujours professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, et toujours le bienvenu sur notre antenne. Vous avez un message à nous faire passer, paraît-il ?
Oui, je vais vous le lire tel quel :
« Protégez notre démocratie ! Résistez dès le début ! Immiscez-vous avec courage quand vous rencontrez la haine et la violence ! Ne donnez aucune chance à l’antisémitisme. Nous pouvons tous faire une contribution. »
Eh bien, c’est un appel très grave, presque solennel. Cela vous vient d’où ?
Vous allez être surprise : cet appel a été diffusé par les speakers dans chacun des stades du football professionnel allemand le week-end dernier. C’est-à-dire à l’intention de, mine de rien, 650 000 spectateurs.
Effectivement, pour une annonce de stade, c’est étonnant !
Au risque de vous surprendre à nouveau : si le ton a été particulièrement grave cette année, c’est déjà la 20ème fois que la Ligue de Football Allemande a mis en place, en coopération avec les 36 clubs professionnels qui la composent et les associations de supporters, ce qu’elle appelle « le jour du souvenir ». Toujours fin janvier, quand est commémorée la libération des camps de concentration, notamment Auschwitz-Birkenau.
Mais il est vrai : cette année, c’était différent et cette action n’a jamais été aussi lourde de signification auparavant. Car l’actualité a rattrapé le souvenir historique : d’une part, depuis le 7 octobre dernier, l’Allemagne a connu, comme la France, une augmentation exponentielle des incidents antisémites. Et d’autre part, jamais depuis de longues décennies, les idées de l’extrême-droite n’ont été assumées aussi facilement par un parti politique et une partie grandissant de l’électorat.
Vous faites allusion à l’essor et aux activités du parti « AfD » qui ont suscité un grand nombre de contre-manifestations ces dernières semaines ?
Oui, Marie-Sixte Imbert y a consacré deux chroniques récentes sur votre antenne – [à réécouter ici et ici] – pas besoin d’y revenir.
Il est vrai que les manigances de ce parti politique ont pris une dimension différente en ce début 2024, et que l’inquiétude au sujet de la stabilité de la démocratie allemande est montée d’un cran dans beaucoup de tête. Est-ce une « Schönwetter-Demokratie », c’est-à-dire une démocratie qui ne fonctionne que quand la météo (notamment économique) est favorable. Ou est-ce qu’elle est plus résiliente qu’il n’y paraît ?
En tout cas, cela nous renvoie à une interrogation que j’ai partagée avec vous au début de la guerre en Ukraine : le « plus jamais ça ! », qui servait de boussole morale durant des décennies, que voulait-il dire au juste ? « Plus jamais la guerre » – comme l’entend un courant pacifiste qui réclame une entente avec Poutine ? Ou « plus jamais une société civile trop faible pour défendre ses libertés, trop molle pour rejeter les idéologies totalitaires, trop indifférente pour protéger les minorités ? »
On dirait presque que le football vous a donné une réponse ce weekend !
Pas faux. Réponse spontanée et provisoire, certes, mais réponse sans ambiguïtés, surtout en considérant ce slogan percutant qui a frayé son chemin jusque sur les banderoles de fans et dans les conférences de presse de certains entraîneurs : « Plus jamais, c’est maintenant ! ». (« Nie wieder ist jetzt ! ») Vous reconnaîtrez que cela a de la gueule.
C’est percutant, je l’avoue.
Et cela montre qu’on a fait du chemin. Dans les années 1930, le football était déjà un sport très populaire en Allemagne. Il dépassait le million de pratiquants, dans plus de 5000 clubs, et il remplissait des stades déjà impressionnants. Mais autant la fédération que la grande majorité des clubs ont léché les bottes aux Nazis, dès qu’ils étaient arrivés au pouvoir. Leur comportement honteux a été bien documenté par des études historiques fouillées, souvent commanditées par eux-mêmes.
Aujourd’hui, ils se positionnent, revendiquent leur citoyenneté active. Franchement, c’est rassurant de voir qu’il y en a qui semblent avoir appris quelque chose de l’histoire.
Merci beaucoup, Albrecht Sonntag, pour cette lueur d’espoir, si j’ose dire, en des temps bien troubles. Je rappelle que vous êtes professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.