Chaque semaine, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte sur euradio les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
Le 19 septembre 2023, un groupe de travail franco-allemand a présenté un rapport proposant des réformes institutionnelles de l’UE. Avant d’aller plus loin, de quoi s’agit-il ?
C’est un groupe de travail franco-allemand, composé de douze chercheurs indépendants - ils se sont d’ailleurs appelé le « Groupe des Douze ». Pour citer deux noms, les rapporteurs sont Daniela Schwarzer de la Bertelsmann Stiftung et Olivier Costa du CNRS CEVIPOF.
Ce groupe a été formé le 22 janvier 2023, pour le 60e anniversaire du traité de l’Elysée, à l’initiative de la Secrétaire d’État aux Affaires européennes Laurence Boone, et de son homologue la ministre adjointe fédérale Anna Lührmann. Une initiative franco-allemande à dimension européenne : c’est lors du Conseil des affaires générales, réunion des ministres européens qui traite des questions d’élargissement et de structure institutionnelle, que ce rapport a été présenté. Son titre en français : “Naviguer en haute mer – réformer et élargir l’UE pour le XXIe siècle”.
Vaste programme : pourquoi traiter maintenant ce double sujet de la réforme de l’UE et de son élargissement ?
Parce que cette question de la manière dont l’UE peut préserver – voire accroître – sa capacité d’action est au cœur de la construction européenne, et plus encore alors que de nombreux élargissements pourraient avoir lieu dans les prochaines années : huit pays sont candidats, les négociations avec l’Ukraine notamment pourraient être ouvertes en décembre 2023, sans compter qui voudraient être candidats comme la Géorgie. C’est un vieux sujet : il trouve une actualité nouvelle pour des enjeux d’influence de l’Union européenne, de capacité de puissance politique, et de projection pour les pays candidats.
Cette actualité nouvelle de l’élargissement repose la question de la réforme de l’UE – un serpent de mer. Car on peut certainement faire mieux, plus vite. La dernière grande réforme en date, c’est le traité de Lisbonne en 2008 : si les processus de décision et de mise en œuvre sont déjà parfois complexes, au Conseil où intérêts nationaux et européens se trouvent mêlés, au Parlement où les accords sont parfois ténus, qu’en sera-t-il à 30 ou plus États membres dans quelques années ? Je cite la ministre Anna Lührmann : « L’Union européenne doit se préparer à s’élargir. Nous devrons mettre en œuvre les nécessaires réformes internes de l’UE au cours de la prochaine législature. L’UE doit améliorer sa capacité d’action, notamment en vue de l’adhésion de nouveaux membres. ».
Dès lors, que propose donc ce fameux rapport du « groupe des Douze » ?
Il propose notamment une Europe à plusieurs cercles, avec un premier cercle de pays très intégrés, puis le reste de l’UE actuelle, puis les États participant au marché unique, enfin la Communauté politique européenne. Je retiens également l’idée de passer à la majorité qualifiée au Conseil sur des sujets qui requièrent aujourd’hui l’unanimité comme la justice, la fiscalité ou la politique sociale – avec une exception, la politique étrangère et de sécurité. Ce rapport propose également une « codécision complète avec le Parlement européen » - ce qui parachèverait sa montée en puissance. Un point majeur innerve la réflexion, celui du respect de l’État de droit.
Sur la question de la révision des traités, si un certain nombre de propositions nécessiterait une révision, d’autres pourraient être mises en œuvre à traités constants – sur l’augmentation du budget pluriannuel, ou la réduction du nombre de membres de la Commission, par exemple.
Pourquoi une telle initiative franco-allemande sur ces enjeux européens ?
Ce rapport est le fruit d’un travail indépendant, de chercheurs indépendants : il ne reflète pas des positions gouvernementales. Et s’il a été réalisé par un groupe franco-allemand, il s’est appuyé sur des contributions venant d’autres États, membres ou candidats.
Si Paris et Berlin ont néanmoins souhaité ce travail, cela illustre sans doute combien le débat sur les réformes et l’élargissement est complexe, doit être nourri de réflexions de fond, et soutenu politiquement. La coopération franco-allemande est sans doute de moins en moins suffisante, à mesure que l’UE s’élargit - et de futurs élargissements ne feront que reposer cette question, ainsi que celle d’une translation vers l’Europe centrale et orientale du barycentre européen en termes de poids démographique ou économique. Cela veut-il dire aussi une translation du poids politique et de la capacité d’influence ? Le moteur franco-allemand reste important, et il reste de la responsabilité de chacun de le nourrir. Nous avons là un exemple concret de coopération bilatérale ouverte sur l’UE, fondé sur la société civile et appuyé par le politique : un exemple intéressant.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.