Euronomics sur euradio est une émission du Joint European Disruptive Initiative (JEDI), think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est Senior Fellow.
Aujourd’hui, vous allez revenir sur les élections présidentielles roumaines, leurs déterminants économiques, et la réponse économique roumaine et européenne attendue dans ce contexte.
Oui Laurence. Les élections présidentielles roumaines se sont donc closes dimanche dernier avec l’élection du mathématicien et maire de Bucarest centriste Nicusor Dan à près de 54% des voix. Une surprise positive dans la mesure où seulement quelques jours avant, les sondages prédisaient une victoire du candidat d’extrême droite pro-Trump arrivé 1er au premier tour de mai 2025 avec plus de 41% des voix, George Simion.
Comment en est-on arrivés là, Victor Warhem ?
Ces élections ont en effet été rocambolesques et ont concrétisé une grande crainte que les observateurs avaient pour la “super année électorale” que fut 2024 à l’échelle mondiale : celle de voir la désinformation organisée en ligne affecter le processus démocratique. Ainsi, estimant avoir suffisamment d’éléments attestant de campagnes de désinformation russes ayant favorisé le candidat d’extrême droite pro- Poutine d’alors, Calin Georgescu, arrivé premier au premier premier tour (oui c’est complexe) en novembre 2024, la Cour constitutionnelle roumaine a décidé d’annuler ce premier tour et donc de reprogrammer les présidentielles au printemps 2025.
Qu’est-il arrivé suite à cette décision ?
On peut dire qu’un chaos politique est né des braises de ce premier tour annulé. Tout d’abord, la décision a été très peu comprise par les électeurs roumains eux-mêmes - dont 39% sont manifestement très sensibles aux théories du complot, le plus haut taux d’Europe. On a donc pu voir dans la décision de la Cour constitutionnelle une tentative de manipulation des élections par l’Occident. Cela n’est donc pas un hasard à mon sens si George Simion, le candidat d’extrême droit plus libéral que Georgescu qui a pris sa place dans les sondages, a atteint 41% au deuxième premier tour organisé il y a quelques semaines.
Néanmoins, cela a aussi conduit à la candidature surprise de Nicusor Dan, qui, un peu comme Emmanuel Macron en 2017, est parvenu en quelques mois à dépasse tous les candidats des partis traditionnels – faisant l’objet d’un rejet terrible en Roumanie – pour finir par largement l’emporter dans un surcroit de participation pro- européenne étonnant dans un pays qui vote très peu habituellement.
Le vote protestataire des Roumains est-il néanmoins uniquement dû à la désinformation, Victor Warhem ?
Non, évidemment, des motifs socio-économiques viennent se greffer aux bulles cognitives dans lesquels évoluent les électeurs de l’extrême droite roumaine.
Le pays, qui a connu depuis son entrée dans l’Union européenne en 2007 un incroyable rattrapage économique, le meilleur de toute l’Union, passant de 40% du PIB moyen européen par habitant à près de 80%, a néanmoins beaucoup souffert ces dernières années de plusieurs phénomènes.
Tout d’abord, le covid et la guerre en Ukraine ont eu le même effet qu’ailleurs, mais de manière peut-être plus marquée : la dette du pays s’est envolée et les déficits restent élevés, tandis que les prix, notamment de l’énergie, se sont envolés également.
Pour autant, tous les pays européens ne sont pas aussi enclins à basculer à l’extrême droite que la Roumanie.
C’est vrai Laurence. Mais dans un pays où 20% de la population vit encore de l’agriculture, et où la croissance économique se concentre dans les villes, les populations rurales les plus fragiles se sont retrouvées plus déclassées qu’ailleurs ces dernières années, sans perspective de rebond à brève échéance.
Cela a accentué la colère à l’égard des partis de centre-gauche et de centre-droit qui gouvernent sans discontinuer depuis 1989, et ne sont pas réputés pour leur intégrité,avec des accusations de corruption, de népotisme et de délaissement des services publics.
En votant Dan et Simion, les Roumains ont donc fait preuve de “dégagisme”. Comment éviter que cela recommence ?
Nicusor Dan, mathématicien de renom formé à l’ENS a fort à faire pour inverser la tendance. Son programme “Roumanie honnête” comporte 60 mesures destinées à faire de la Roumanie un état moderne au service du peuple.
Parmi ces mesures, on retrouve le redécoupage administratif autour des centres urbains de croissance pour mieux redistribuer la richesse, une réforme du système électoral pour empêcher toute suspicion de fraude, une réforme judiciaire pour mieux garantir l’indépendance des juges – y compris constitutionnels -, un combat total contre la corruption dans le secteur public, la digitalisation des services publics, ou une hausse des dépenses de défense à 3,5% du PIB.
Cela sera-t-il suffisant, Victor Warhem ?
On ne sait de quoi l’avenir est fait, et des “vents contraires” comme le vieillissement de la population, une guerre commerciale persistante, ou un niveau de dette publique élevé pourraient réduire l’impact économique de ces mesures.
Pour autant, les Roumains peuvent aussi compter sur l’Europe, qui compte enfin commencer à appliquer les rapports Letta et Draghi, surtout en matière de marché unique. Ainsi, la Commission a désormais pour objectif de s’attaquer aux “barrières non-tarifaires" - c’est à dire aux normes nationales - qui bloquent le commerce intra-européen et élèvent le coût des biens de 50% et même de 110% pour les services selon une étude sortie récemment. Cela devrait aider le continent à générer une croissance plus inclusive, et contrer les effets des droits douanes américains. En effet, une hausse de 2,4% du commerce intra-européen serait suffisant pour compenser la perte économique liée à la hausse prévue par Trump de ces droits.
Nous avons donc les outils pour contenir l’extrême droite : il est temps de s’en servir.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.