L’État de droit c'est la liberté des médias mais ça ne pose pas un problème à l'heure de se battre contre la désinformation, en ces temps de conflits armés et à la veille des élections européennes ?
Oui, ces problèmes liés à l'accès à une information saine, pourrait-on dire, se trouvent déjà au cœur du Digital Services Act, dont nous avons parlé il y a 3 semaines, qui régule les pratiques des plateformes. Le débat public a besoin d'une information accessible pour l'ensemble des citoyens, d'une expression libre et contradictoire, et d'organes de presse indépendants des pouvoirs économiques et politiques.
Oui, l'année dernière nous avions beaucoup parlé de l'équilibre entre les divers discours et la surreprésentation de certains et leurs conséquences. Mais c'est quand même très compliqué de légiférer sur ces sujets !
On essaye, on essaye ! Avec l'adoption du EMFA - pour European Media Freedom Act ou législation européenne sur la liberté des médias. Et nombreux sont ceux qui craignent que, sous couvert d'une protection contre la désinformation, on bascule vers une violation de la liberté de la presse, consacrée tant à l'échelle constitutionnelle nationale qu'à l'échelle du droit européen.
Alors le texte EMFA promeut un système médiatique libre et il limite les risques de désinformation en garantissant sa pluralité, c'est bien cela ?
Voilà c'est l'idée et il prévoit aussi l'usage d'un logiciel espion, en son article 4, pour des raisons de sécurité nationale. Cet usage est encadré par le texte aussi.
Mais la sécurité nationale... elle est variable d'un État membre à l'autre, comment imaginer l'harmonisation ? Ça va être compliqué.
Comme on a toujours fait jusqu'à maintenant: les critères communs finiront par émerger au fur et à mesure des contentieux traités par la Cour de Justice de l'UE. La légitimité d'un encadrement ne se comprend que quand il flirte avec les limites et ces limites elles ne peuvent être variables que face aux cas spécifiques. Si une restriction est estimée non conforme avec nos droits fondamentaux, la justice tranchera.
Oui on ne peut pas garantir qu'aucune erreur ne sera faite mais on peut garantir que des mécanismes seront mis en œuvre en cas d'abus.
Exactement. C'est important d'interpeller, c'est encore plus important de pouvoir en discuter.
On peut s'attendre à ce que quelques dirigeants européens en abusent ?
Alors c'est amusant, j'ai eu cette le réaction aussi mais voyez, Viktor Orban, premier ministre hongrois, s'oppose au EMFA : il le qualifie de « orwellien »... bon, la Hongrie a rétrogradé de la 23e place à la 72e dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporter sans Frontières, en 10 ans, je ne vois pas trop le message qu'il essaye de faire passer.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.