Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Bonjour Tiphaine, aujourd’hui vous vouliez nous parler salinisation.
Oui Laurence, car impliquée dans un projet de recherche européen sur les sols méditerranéens, j’ai assisté récemment à une conférence passionnante sur les sols salés.
La salinisation des sols, c’est une des principales menaces qui pèse sur les sols non ?
Oui, menace d’autant plus marquée dans les zones arides et semi arides du globe car l’absence de pluie ne permet pas de lixivier ou laver les sels en excès. La salinisation des sols concerne près d’un milliard d’hectare soit 8,7 % des sols de la planète. Les sols irrigués sont les plus affectés, on parle de 20 à 50% des sols irrigués avec des excès de sels entrainant des baisses de production agricole. La FAO estime à 1,5 milliards de personnes concernées par ces pertes de rendement.
C’est donc une menace à prendre au sérieux.
Surtout que le phénomène est dynamique. 1.5 millions d’hectare de plus seraient concernés chaque année. A ce rythme, on risque de perdre rapidement une grande partie des terres agricoles.
Ce n’est pas un problème récent pourtant ?
Pas vraiment non. Déjà il y a 2000 avant JC, la Mésopotamie a connu d’importantes pertes de sols agricoles liés à la salinisation.
D’où vient le problème, de l’eau d’irrigation ?
Oui, il y a bien des sols salés naturellement mais le problème vient essentiellement de la gestion de l’eau d’irrigation plus ou moins chargées en sel. La concentration en sels augmente alors dans les sols. La physiologie de la plupart des plantes cultivées n’est pas adaptée à ces taux de sels, elles ont du mal à absorber cette eau trop salée. Leur cycle végétatif est profondément affecté de la germination à la production de grains et la production agricole chute.
Pas de solution, à part se contenter de manger des salicornes ?
Sans rire, vous avez raison Laurence, la solution peut se trouver vers les plantes halophytes comme les salicornes. Ces plantes dites halophytes supportent le sel. C’était l’objet du projet de recherche européen dont la question était de savoir s’il était possible de restaurer des sols salins avec des halophytes. Certaines plantes halophytes peuvent extraire jusqu’à 5t de sel par hectare et par an. Mais surtout ce qui m’a vraiment intéressé ce sont les techniques d’intercropping entre plantes halophytes et non halophytes.
Intercropping ?
En inter-rang, c’est l’association de 2 plantes cultivés en même temps. Ces chercheurs se sont rendu compte que dans la nature il y avait co-existence de plantes halophytes et non halophytes. La présence d’halophytes extrait du sel et diminue ainsi la sensibilité de la plante non halophyte au sel. Ils ont ainsi comparé la production de tomates avec et sans présence de plantes halophytes dans trois régions de Tunisie et d’Egypte. La culture de tomates était irriguée avec de l’eau plus ou moins salée.
La présence d’halophyte diminue significativement la salinité du sol et a permis une augmentation de 15% de la production de tomates pour une eau d’irrigation moyennement salée.
Ce sont des résultats encourageants !
Encourageants oui car insérer des halophytes dans les systèmes de culture est relativement simple à mettre en œuvre face aux autres techniques proposées pour restaurer des sols salés. Il y a environ 6000 espèces d’halophytes, donc de nombreuses possibilités à explorer.
Ce projet de recherche financé par l’Europe coordonné par une équipe tunisienne et dans lequel collaborent des équipes égyptiennes, italiennes, espagnoles et françaises est remarquable afin de trouver des solutions pour valoriser des terres qui semblaient perdues ou en voie de l’être.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.