Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Bonjour Laurence
Aujourd’hui vous vouliez rappelez la date du 17 juin
Oui Laurence car le 17 juin est la journée de la lutte contre la désertification. En Europe on ne se sent pas tellement concerné et pourtant rien que sur notre continent, relativement privilégié en matière de sol et de climat, on parle de 60 % de sols dégradés, dont 25 % dans le sud et l’est de l’Europe à fort risque de désertification. On compte également 390 000 sites contaminés. 65 à 75 % de nos agricoles sont trop fertilisés et conduisent à de forts risque d’eutrophisation de nos eaux superficielles. Le cout annuel de ces dégradations a été estimé à 50 milliard d’euros.
D’où sortent ces chiffres catastrophiques ?
De la proposition de loi sur la surveillance des sols de la commission européenne. Légiférer sur les sols au niveau européen, on en a déjà parlé... c’est un vrai serpent de mer, mais ça avance. Même bien. Et d’ailleurs, le 17 juin dernier, le conseil de l’UE a défini des orientations générales visant à rendre obligatoire la surveillance de la santé des sols. L’objectif est de définir un cadre commun entre nos pays pour conserver et retrouver des sols en bonne santé en 2050. Ne plus avoir à parler de 60% de sol dégradés.
Déjà il faut définir ce que veut dire des sols en bonne santé !
Oui…si vous trouvez des scientifiques en science du sol un peu endormis, vous pouvez les lancer le sujet, vous devriez les réveiller. Cette discussion est sans fin, personne n’est vraiment d’accord sans être tout à fait en désaccord… Une chose est sûre en revanche, c’est qu’il faut avoir des données chiffrées sur un ensemble de descripteurs, physiques, chimiques et biologiques du sol dans de nombreux contextes et si possible sur des pas de temps longs pour suivre et comprendre des évolutions selon l’usage des sols. Il faut donc identifier ces descripteurs selon les critères qui nous intéressent, identifier les sites suivis, organiser les données, les analyser, les diffuser aux gestionnaires.
À l’échelle de l’Europe, mais c’est un boulot monstre !
Un boulot monstre mais qui est déjà commencé à l’échelle européenne et nationale dans plusieurs pays dont la France. C’est d’ailleurs grâce à ces données que j’ai pu vous donner le chiffre de 60% de sols dégradés en Europe tout à l’heure.
Concrètement comment fait-on, qu’est-ce qu’on va analyser pour arriver ce chiffre ?
Déjà où va-t-on échantillonner avant d’analyser ? Les sols ne bougent pas, sont hétérogènes et profonds. Imaginez-vous dans une parcelle avec une tarière, un instrument que vous allez tourner pour l’enfoncer dans le sol puis en ressortir une carotte de sol que plus tard vous analyserez. Alors où allez-vous creuser pour avoir un échantillon représentatif de l’hétérogénéité de votre parcelle ?
Ah oui et j’ai le droit à combien de trous ? je vais jusqu’à quelle profondeur ?
Eh oui tout est là. Face à ces questions qui ont l’air toutes bêtes à l’époque du numérique et de l’intelligence artificielle, on peut vite se retrouver démuni seule avec sa tarière au milieu de sa parcelle, sa région, son pays. Alors bien sûr, les réseaux de mesures de la qualité des sols nationaux et européen ont répondus à ces questions… mais chacun différemment, chacun ses plans d’échantillonnage, ses profondeurs de prélèvement, ses priorités dans les descripteurs, ses pas de temps de mesure pour suivre les évolutions. Bref chacun produit des résultats qui diffèrent un peu et ne sont pas toujours comparables facilement. Il faut donc harmoniser tout ça, ou du moins avoir une base commune que chaque pays pourra compléter avec ses propres priorités. Le conseil de l’union européenne le 17 juin dernier a tracé une route avec étapes et principes directeurs afin que la surveillance des sols devienne obligatoire et conduise à conserver et restaurer nos sols dégradés. C’est un peu de la part du conseil, l’appel ou la pelle pour les sols du 17 juin.
C’est positif !
Très positif, mais il reste du travail dans la définition de nos règles communes de surveillance, de définition de qu’est ce qu’une gestion durable des sols et de recensement des sites contaminés dont je n’ai pas pris le temps de parler aujourd’hui. Ce qui est très positif aussi c’est que la recherche scientifique européenne est en phase avec ces objectifs. Le programme européen EJP soil a regroupé 400 scientifiques européens de 24 pays sur 5 ans de 2020 à 2025. Ces scientifiques ont notamment travaillé sur la définition de descripteurs ou indicateurs de la qualité des sols ou sur des méthodologies de mesures pour faciliter la surveillance de nos sols par exemple avec des images satellites.
Ah ils n’ont pas qu’une tarière à leur disposition !
Non même si les satellites ne creusent pas… mais je vous en parlerai une prochaine fois.
La prochaine étape ?
Celle du conseil de l’union européenne ? d’entamer les pourparlers avec le parlement européen sur la forme définitive du texte de loi sur la surveillance des sols. La mienne vous remercier et remercier tous les scientifiques qui m’ont aidé à préparer ces chroniques sur les sols. J’espère que l’on vous a tous convaincu que les sols sont une vraie richesse, non renouvelable, que protéger les sols est un travail de longue haleine qui ne se réfléchit pas uniquement le 17 juin. Pour vous, la prochaine étape, vous souvenir que vous êtes terriens, terriennes et profiter de l’été pour apprécier la diversité des sols que vous allez rencontrer !
Le site de l’EJP soil regorge d’information sur les sols européens : https://ejpsoil.eu/
Un entretien réalisé par Laurence Aubron