Les sols, merveilles invisibles

Du Cadmium dans les sols

© Wikimédia Commons - USDA NRCS Texas Du Cadmium dans les sols
© Wikimédia Commons - USDA NRCS Texas

Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).

Tiphaine, vous vouliez nous parler de l’alerte de l’union des médecins libéraux sur l’imprégnation de la population française par le cadmium.

Oui Laurence, car bien que les sols agricoles contiennent naturellement du cadmium, l’activité humaine leur en ajoute. Ce cadmium est prélevé par les plantes et se retrouve donc dans les productions végétales pour l’alimentation humaine.

C’est donc un vrai problème de sécurité sanitaire ?

Bien sûr, le cadmium est un élément très toxique. Il est faiblement éliminé par le corps, et classé comme cancérogène. Le cadmium contenu dans ce que l’on mange, dans ce que l’on fume, s’accumule avec le temps dans le corps, notamment dans nos reins et notre foie. Les risques pathologiques augmentent donc avec l’âge.

Est ce qu’il y a des suivis dans la population ?

Oui ces suivis existent et la concentration en cadmium dans les urines de la population française a augmenté ces dernières décennies pour une raison qui n’est pas clairement identifiée.

Mais d’où vient ce Cadmium ?

La première source d’exposition au cadmium, pour les fumeurs actifs et passifs, est le tabac. Pour les autres, c’est l’alimentation dont les produits végétaux, mais pas uniquement. Les coquillages, le foie, les rognons sont également très riches en cadmium.

Pour revenir aux végétaux, ils contiennent du cadmium car ils l’ont prélevé dans les sols via leurs racines avec les éléments minéraux dont ils ont besoin. Toutes les plantes n’ont pas le même niveau d’accumulation de cadmium dans leurs organes que l’on consomme. Le cadmium est par exemple fortement accumulé dans les plantes de tabac. Ce qui explique pourquoi les fumeurs sont particulièrement exposés au cadmium et présentent en général les plus hauts taux dans leurs urines. Les céréales accumulent moins de cadmium que le tabac, mais nous en consommons beaucoup. L’attention de l’union des médecins libéraux se focalise d’ailleurs sur les céréales, et incrimine les fertilisants phosphatés.

Pourquoi les fertilisants phosphatés ?

Parce que le cadmium est naturellement présent dans les gisements de phosphates sédimentaires dont on se sert pour produire des engrais minéraux phosphatés. Des apports répétés d’engrais P chargés en cadmium peuvent conduire à augmenter le taux de cadmium dans les sols. Mais ce n’est pas systématique. Il faudrait connaitre son évolution par des mesures régulières ce qui est encore très peu fait. La directive cadre européenne sur les sols qui obligera les pays à surveiller la qualité de leurs sols demandera peut-être explicitement de mesurer régulièrement ces concentrations des sols en cadmium.

Pour l’instant, il faudrait surtout réduire les taux de cadmium dans les engrais minéraux alors ?

Oui d’ailleurs la réglementation européenne limite la teneur en cadmium des engrais P et prévoit d’encore abaisser les seuils de 60 à 40 voire 20 mg Cd/kg de P2O5. Sélectionner des variétés, notamment de blés qui l’accumulent peu, est une autre piste. D’autant plus intéressante que certains sols sont naturellement riches en cadmium. Tout à l’heure on a dit que le cadmium était naturellement présent dans les sédiments calcaires, donc dans certains sols agricoles calcaires également et cela indépendamment de la fertilisation. Ainsi si le taux médian des sols agricoles français est aux alentours de 0.28 mg de Cd kg-1, certains sols agricoles sont naturellement aux alentours de 1 mg de cadmium par kilogramme de sol.

Quand le cadmium est présent dans un sol on ne peut pas l’enlever ?

C’est un élément chimique, naturel, il ne se dégrade pas. Si on ne peut pas l’enlever facilement, on peut essayer de le rendre moins disponible pour les plantes, c’est-à-dire jouer sur sa bio ou de phytodisponibilité. Cela dépend du type de plante, on l’a vu, mais aussi de facteurs physico-chimiques du sol, comme le pH ou le taux de matière organique du sol.

C’est compliqué.

C’est surtout compliqué parcqu’on ne comprend pas encore bien toutes les étapes. Réduire la fertilisation phosphatée peut faire partie de la solution, mais ce n’est pas la seule. L’alerte des médecins devrait davantage mettre en lumière la vaste question de recherche qui va de la compréhension de la biodisponibilité du cadmium en fonction du type de sol, de la capacité des plantes à le prélever, jusqu’à l’imprégnation de la population française selon ses régimes alimentaires.

Plus complexe mais passionnant.

C’est ça, exactement, une bonne définition de la recherche scientifique sur les sols ! une magnifique conclusion pour finir la saison. J’en profite pour remercier tous les scientifiques qui m’ont aidé à écrire toutes ces chroniques, dont celle-ci, un grand merci à Christophe Nguyen de l’INRAe spécialiste dans le transfert du cadmium du sol à la plante.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

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