Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
Aujourd’hui vous nous parlez en direct de Berlin où vous assistez à un colloque international organisé par la Fondation allemande Genshagen.
Oui, avec Synopia nous avons la chance d’assister à ce colloque qui regroupe des personnalités européennes reconnues et qui porte sur un thème qu’on n’a peu l’habitude de traiter : le Triangle de Weimar, c’est-à-dire le format de coopération intergouvernementale tripartite composé de la France, de l’Allemagne et de la Pologne.
C’est une organisation qui existe depuis plus de 30 ans ?
Oui tout à fait, le Triangle de Weimar a été créé le 28 aout 1991, à Weimar, à l’issue d’une déclaration commune des ministres des affaires étrangères français, allemand et polonais, dans le contexte de la fin de la guerre froide avec la chute de l’Union soviétique. L’objectif initial était de préparer l’adhésion future de la Pologne à l’Union européenne et à l’OTAN, qu’elle finira par rejoindre en 2004 pour l’UE et dès 1999 pour l’OTAN.
Concrètement, de quoi s’agit-il et comment fonctionne le Triangle de Weimar ?
Le Triangle de Weimar est une organisation sui generis, elle ne repose sur aucun traité fondateur et ne dispose pas d’institutions ou d’une administration. En ce sens, elle n’a rien à voir avec l’Union européenne. C’est plutôt un format de coopération trilatérale qui n’a pas vocation à aboutir à des décisions nécessairement contraignantes mais à faciliter le dialogue, la discussion entre ces trois pays. Surtout lorsqu’ils divergent sur des questions liées à la politique européenne, ce format tripartite permet, en principe, de préparer les débats qui auront ensuite lieu au Conseil européen, avec les autres États membres, pour essayer de dégager une position commune déjà entre ces trois États. Mais dans la pratique, la coopération dans le cadre du Triangle de Weimar n’a pas forcément porté ses fruits.
Justement, on sait que les relations entre la Pologne, la France et l’Allemagne ne sont pas toujours très faciles à entretenir et on voit apparaitre dernièrement de plus en plus de dissensions, que ce soit sur les questions liés à l’état de droit ou à la position vis-à-vis de la Russie ?
Oui, déjà que le couple franco-allemand ne parvient pas toujours à tomber d’accord sur des questions de fonds, si on ajoute la Pologne ça complique encore plus la coopération puisque les intérêts des trois pays sont assez différents. En tout cas c’est comme ça qu’ils le perçoivent. Sur la question de l’état de droit, la France et l’Allemagne sont vent debout contre la Pologne qui va a l’encontre des principes qui figurent dans les traités européens. Les relations sont donc plus tendues. Lors de la crise migratoire en 2015, les trois pays n’ont pas réussi à s’entendre sur une stratégie commune d’accueil et la Pologne a tenu une position très radicale, on s’en souvient. Et les dissensions portent aussi dur des questions moins médiatisées, comme la défense européenne que la France promeut depuis de nombreuses années et qui ne trouvent pas d’écho favorable auprès des Allemands et des Polonais pour qui l’appartenance à l’OTAN constitue une fin en soi. La question des achats d’armement est aussi sensible puisque les Polonais privilégient toujours l’achat auprès des Américains, tout comme on l’a vu très récemment, les Allemands. La France se retrouve donc un peu seul lorsqu’il est question d’industrie européenne de défense.
Et sur l’Ukraine ?
Là aussi il y a des divergences. Le format du Triangle de Weimar aurait été utile pour préparer une réponse européenne commune mais les trois États ont des positions parfois radicalement opposées. La Pologne, on l’a vu depuis le début du conflit, est extrêmement véhémente à l’égard de la Russie qu’elle désigne depuis des années comme l’ennemi numéro 1 de l’Europe. Contrairement à 2015, elle a ouvert grand ses frontières pour accueillir des réfugiés ukrainiens. Et elle défend, en dépit de sa grande dépendance, les propositions d’embargo sur le gaz russe. Tandis que la France et l’Allemagne sont beaucoup plus prudentes. Le Président Français Emmanuel Macron condamne la guerre menée par les Russie et les exactions commises, comme il l’a rappelé dans son discours devant le Parlement à Strasbourg lundi, mais il maintient le dialogue, autant que possible, avec Vladimir Poutine et essaye de préparer la paix. Et il a raison de ne pas s’aligner sur la position polonaise qui peut s’avérer à la fois dangereuse et contre-productive. Donc l’Ukraine et plus largement la relation avec la Russie, depuis de nombreuses années, est un sujet difficile à traiter dans le cadre du Triangle de Weimar.
Quels sont les grands axes sur lesquels le format du Triangle de Weimar peut apporter quelque chose de concret, faire avancer les trois pays dans une même direction ?
Même s’il y a des dissensions, la guerre en Ukraine est un des axes forts pour l’avenir de la coopération. Bien qu’ils aient des visions un peu différentes, les présidents polonais et français et le chancelier allemand ont tenu leur première réunion au plus haut niveau politique depuis plus de dix ans. Et leurs ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés aussi. La guerre a ravivé le besoin de dialogue tripartite et, d’une certaine manière, elle a fait renaitre le Triangle de Weimar qui était peu à peu tombé en désuétude. L’axe fort pour l’avenir de ce format de coopération c’est, à mon sens, de réfléchir et de proposer ensemble une nouvelle architecture de sécurité commune. Car si Paris, Berlin et Varsovie parviennent à un accord, ce sera déjà une étape majeure dans les négociations qui auront lieu avec les autres pays européens.
Joséphine Staron au micro de Cécile Dauguet