Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
Aujourd’hui s’ouvre la deuxième journée du Sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, le sixième depuis la création de ce partenariat. Et le Président Macron en a fait un des axes forts de la PFUE puisqu’il s’est engagé à ce que ce sommet soit le moment d’une refondation plus équitable du partenariat avec l’Afrique.
Quels sont les grands enjeux, les questions majeures qui sont abordées pendant ce sommet ?
Il y en a deux en réalité : déjà, la question des difficultés économiques que rencontrent les pays africains et qui se sont considérablement accentuées depuis la crise sanitaire ; et ensuite, les questions liées à la sécurité du continent, au terrorisme, et bien sûr, à la problématique de l’immigration illégale vers l’Europe.
Est-ce que ce sommet a une chance d’aboutir à des changements majeurs dans la relation entre l’Union européenne et l’Afrique ?
Ce qui est certain c’est que les attentes sont grandes, du côté des africains surtout qui dénoncent depuis de nombreuses années le caractère non équitable voire injuste du partenariat avec l’Europe, notamment en matière commerciale. Et c’est vrai que, si on dresse un bilan, les résultats ne sont pas satisfaisants pour l’Afrique puisque l’écart entre le PIB par habitant en Europe et en Afrique s’est creusé, et que le déficit commercial de l’Afrique a été multiplié par cinq en près de vingt ans.
La renégociation des accords commerciaux avec l’Europe va donc être sur la table ?
Oui ça va sans doute être l’un des points de négociation majeur. Les dettes publiques des pays africains ont presque doublé en 10 ans et le Fonds monétaire international, le FMI, estime que beaucoup de ses pays sont en état de surendettement. Donc le vrai enjeu c’est comment encourager le développement économique de l’Afrique tout en ne creusant pas davantage le déficit public. Et là il va y avoir trois questions principales qui vont être mises sur la table : premièrement, la question de l’annulation de la dette des pays africains (rappelons que c’était une proposition formulée par le Président Macron dès le début de la crise sanitaire) ; deuxième question, c’est celle des nouveaux accords commerciaux et de la création d’une véritable zone de libre échange connectée au marché intérieur européen ; et enfin, la troisième, c’est bien sur celle des investissements et de leur volume.
Emmanuel Macron a fait des annonces à ce sujet dans le cadre de la PFUE ?
Oui, et l’une d’elle c’est de demander au FMI l’émission de tirages spéciaux pour permettre à l’Afrique d’obtenir de l’argent disponible immédiatement. Et l’autre, c’est la création de ce qu’il a appelé un New deal économique et financier avec l’Afrique qui serait orienté vers le développement des économies, la modernisation des infrastructures, le développement de l’éducation, de la santé, la lutte contre le terrorisme, contre les passeurs, etc. Donc tout un package pour aider les pays africains dans tout un tas de domaine.
Et ce New Deal, c’est quelque chose de réaliste ?
Réaliste il faut l’espérer, puisque, depuis le dernier sommet, beaucoup de choses ont quand même changé. Les négociations ont lieu dans un contexte particulier, celui de la crise sanitaire, où les États occidentaux ont remis en cause les dogmes économiques. On a vu en Europe quelque chose qui aurait été impensable quelques mois plus tôt, c’est la suspension des règles de discipline budgétaires, les fameux critères de Maastricht, dès le début de la crise. Les États-Unis aussi s’inscrivent dans une nouvelle dynamique puisqu’ils ont développé le plus gros programme de secours économique de leur histoire. Les banques centrales ont massivement investi et revu leurs règles budgétaires. Bref, tous se sont rendu compte que le moment n’était plus aux économies mais à l’investissement. Donc en cela, on assiste à un véritable changement de paradigme qui pourrait bénéficier au continent africain.
Le contexte est donc plus favorable ?
Oui probablement, d’autant qu’il y a un autre élément de contexte à prendre en compte : c’est le fait que la Chine investit désormais moins en Afrique et qu’elle laisse donc une place à l’Europe, place qu’elle avait progressivement abandonné ces dernières années et qui avait laissé le champ libre aux milliards d’investissements chinois sur le continent africain. Refonder le partenariat UE-Afrique c’est donc aussi un enjeu d’influence majeur pour les Européens et il y a un gros travail à faire en termes de rattrapage. Puisque si l’Union européenne est le premier partenaire multilatéral du continent, la Chine reste à elle seule le premier partenaire bilatéral de l’Afrique et elle détient 40 % de la dette africaine. Donc l’Europe a tout intérêt à renforcer son partenariat avec l’Afrique et à contribuer à son développement.
Mais au-delà des enjeux économiques, les questions liées à la sécurité vont également prendre une place importante dans les échanges ?
Oui, c’est le deuxième axe fort de ce Sommet. D’autant que, pour la France, le contexte est compliqué avec la situation au Mali et les débats autour du retrait militaire de la France.
Alors même que les organisations terroristes, notamment au Sahel, continuent de se développer et gagnent du terrain. Donc la question plus générale de la présence militaire française et européenne sur le continent africain va nécessairement se poser. Et ce n’est pas tout puisque la question de l’immigration illégale va également avoir une place de choix puisque c’est un des enjeux majeurs pour le continent européen, toujours très inquiet de la possibilité qu’une nouvelle crise migratoire survienne, comme celle de 2015 et on se souvient des grandes tensions que ça avait causé en interne. Donc au-delà des négociations avec l’Afrique, c’est peut-être aussi en interne, entre les États européens, qu’il va y avoir des discussions parce que jusque-là nous n’étions pas forcément tous alignés sur une même stratégie commune avec l’Afrique.
Joséphine Staron au micro de Cécile Dauguet