Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
À deux jours du second tour de l’élection présidentielle, peut-on anticiper les conséquences du résultat sur l’avenir de l’Union européenne ?
Il est certain qu’on a deux candidats aux visions européennes très différentes, même divergentes. Donc l’issue du scrutin aura nécessairement des conséquences sur la vision française du projet européen. Mais dans les deux cas de figure, il y a une certitude : c’est que la question de l’indépendance ou de l’autonomie de la France et de l’Europe, en matière d’approvisionnement énergétique notamment, sera centrale. Et ce, que le vainqueur soit Emmanuel Macron ou Marine Le Pen.
C’est du fait de la guerre en Ukraine ?
Oui dans une certaine mesure puisque la guerre en Ukraine a révélé combien nous avions pris du retard à ce niveau-là. Mais avant cela, la crise sanitaire nous avait également mis devant le fait accompli : nous avions délocalisé bon nombre d’industries clés et nous avions cessé d’investir dans des secteurs pourtant stratégiques. Et c’est un constat qui est partagé par les deux candidats. Là où ils diffèrent, en revanche, c’est sur les solutions.
Justement, on sait qu’Emmanuel Macron est très pro-européen et qu’il a d’ailleurs consacré une bonne partie de sa campagne aux enjeux européens, notamment avec la guerre en Ukraine. Mais qu’en est-il de Marine Le Pen ? Est-elle la candidate du Frexit ?
Historiquement, le Front National qui est devenu aujourd’hui le Rassemblement National, avait une position très eurosceptique, voire même europhobe et la question du départ volontaire de la France à la fois de l’UE, de la zone Euro et de l’espace Schengen était un des points clés du programme. Mais dernièrement les discours ont changé. Marine Le Pen l’a répété à plusieurs reprises : si elle est élue Présidente, elle ne sortira pas la France de l’UE, ni de la zone euro. C’est déjà une évolution considérable. Mais, même si le RN a des positions moins radicales que par le passé vis-à-vis de la construction européenne, c’est néanmoins un parti très méfiant et avec un a priori extrêmement négatif sur l’UE et ses institutions.
Par exemple ?
Aujourd’hui, Marine Le Pen prône une renégociation des traités européens, et non pas un retrait de la France. Mais sa ligne politique est encore très souverainiste. Parmi les propositions qui pourraient potentiellement provoquer une crise institutionnelle au niveau européen, on a celle qui implique un contrôle national des marchandises aux frontières pour éviter la fraude. Le problème, c’est que ça remet en cause l’une des quatre libertés de circulation. Autre exemple, sur le modèle de la Pologne, Marine Le Pen aurait proposé de modifier la Constitution afin d’y faire figurer la primauté du droit national sur le droit européen. Là encore, ça pourrait avoir de lourdes conséquences pour l’avenir de l’intégration si un des États fondateurs en venait à remettre en cause les principes clés de la construction européenne.
Le fossé entre les visions d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen correspond aussi au fossé qui oppose deux visions des Français sur ce que devrait être l’Union européenne. Sont-elles irréconciliables ?
Une grande partie des Français a peu à peu perdu confiance dans le projet européen. Ils estiment qu’il n’est pas forcément en mesure de les protéger des menaces et des défis d’aujourd’hui et de demain. Et dans une certaine mesure ils n’ont pas tort. Mais les souverainistes croient que la Nation, si elle retrouve plus de pouvoir, sera capable d’assurer cette protection. Et je pense que malheureusement c’est une mauvaise analyse de la situation puisqu’aujourd’hui les États européens, France y compris, n’ont absolument pas les moyens, individuellement, de faire face à des menaces d’une ampleur sans précédent : les crises économiques ; les flux migratoires ; le réchauffement climatique ; la multiplication des conflits dans le monde ; l’essor et le renforcement des régimes autoritaires qui mettent les régimes démocratiques en minorité. Bref, seule une Union européenne forte et puissante peut nous protéger de manière efficace. Mais cette Europe là, elle tarde encore à voir le jour et, ça encourage les pensées pessimistes voire défaitistes, et in fine le rejet du projet européen.
Quel regard les autres États européens portent-ils sur les élections en France ?
Les États européens regardent avec une grande attention les élections françaises. Il est certain qu’une victoire de Marine Le Pen rabattrait les cartes des relations entre les chefs d’état et de gouvernement. Les relations seraient plus difficiles avec l’Allemagne (même si elles n’ont jamais été simples...), et probablement moins tendues avec la Hongrie et la Pologne (quoi que les Polonais sont maintenant tournés exclusivement vers la Russie et la haine qu’ils portent à Vladimir Poutine). Mais beaucoup de nos voisins sont inquiets, notamment à cause de la position de Marine Le Pen vis-à-vis de l’OTAN dont elle souhaiterait quitter le commandement intégré. Et étant donné la menace qui pèse sur l’Europe en ce moment du fait de la guerre en Ukraine, et aussi étant donné qu’on n’a toujours pas avancé sur une véritable Europe de la Défense, et bien cette perspective inquiète légitimement.
Joséphine Staron au micro de Cécile Dauguet