L'édito européen de Quentin Dickinson

L'Axe du Mal, monstre ou fantasme ?

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Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

La semaine dernière, QD, vous aviez abordé, par les aspects militaires, la question de ce stupéfiant envoi de troupes nord-coréennes en renfort des unités russes sur le front en Ukraine. Cette semaine, vous complétez ce dossier par l’évocation des conséquences davantage géopolitiques que cette initiative est susceptible d’engendrer dans le contexte du moment…

C’est vrai, je m’étais engagé à y revenir. Je commencerai en vous disant mon étonnement à entendre reprocher à nos compères POUTINE et KIM Jong-un de violer le droit international. Au contraire, ils ne font qu’appliquer à la lettre le traité d’assistance militaire réciproque, paraphé il y a quatre mois par POUTINE lors d’un déplacement de celui-ci à PYONGYANG, et adopté il y a quarante-huit heures par le parlement russe.

Conçu sur mesure, ce texte prévoit le caractère automatique de la cobelligérance des deux États dans le cas d’une invasion de l’un d’entre eux par un pays tiers hostile.

Et c’est précisément le cas depuis l’entrée des forces ukrainiennes en territoire russe dans l’Oblast de KOURSK. Tout cela peut paraître bien étrange, mais, juridiquement, les Nord-Coréens sont tenus de voler au secours de leur désormais allié moscovite.

Mais ces Nord-Coréens sont-ils déjà au combat ?...

Selon les autorités ukrainiennes, ils seraient arrivés en première ligne, où une quarantaine d’entre eux auraient trouvé la mort sans même avoir eu le temps de tirer le moindre coup de fusil. Les Ukrainiens disent détenir déjà au moins un prisonnier.

Mais, alors que monde entier sait qu’une douzaine de milliers de Nord-Coréens sont déjà en Russie, bizarrement, on les a rhabillés en uniformes russes, et on leur a délivré des passeports russes, les identifiant comme originaires de Bouriatie, une république autonome russe dont les habitants ont un physique plutôt oriental – mais ne parlant évidemment pas un mot de coréen.

On se perd en conjectures quant aux raisons de ce malhabile travestissement.

Mais au-delà de ces éléments anecdotiques, quelle importance réelle revêt cette présence militaire nord-coréenne ?...

Ces jours-ci, l’apparition en Europe orientale de troupes venues d’Extrême-Orient rappelle immanquablement l’incorporation, sur les fronts européens, d’unités indigènes provenant des empires coloniaux britanniques et français au cours de la Grande guerre, 1914-1918. Déracinées, désorientées, ces unités, par ailleurs valeureuses, auront payé un lourd tribut à la victoire de leurs maîtres coloniaux.

L’invasion russe de l’Ukraine est donc – à double titre – une guerre coloniale, voulue par le vertige impérial des dirigeants russes actuels.

Et cette mondialisation de fait du conflit en Ukraine, comme le conflit au Proche-Orient parmi d’autres, se double d’une mondialisation médiatique, qui envahit et pollue la vie politique et déboussole l’opinion dans nos pays européens.

Peut-on dire qu’il y a désormais une alliance solide entre la Russie, la Chine, l’Iran, et la Corée du Nord ?...

Si l’on se fie aux déclarations des dirigeants de ces pays, oui, un Axe du Mal, comme aurait dit Ronald REAGAN, existe bien.

Cependant, quand on y regarde de plus près, l’on ne peut que constater qu’ils ne sont d’accord que sur un seul objectif : marginaliser tous les pays démocratiques que compte la planète, et se débarrasser au plus vite de toute notion d’État de droit ainsi que des relations internationales fondées sur les règles conclues après 1945 (au moment-même, d’ailleurs, où l’on commémore les quatre-vingts ans des Accords monétaires et commerciaux de BRETTON WOODS, et après les soixante-quinze ans du Traité de WASHINGTON, créateur de l’OTAN, à l’été dernier).

Pour résumer, il s’agit d’hâter l’émergence d’un monde, dont les régimes autoritaires et centralisés seraient la nouvelle norme.

Selon ce scénario, l’Union européenne constitue donc une cible à abattre ?...

Incontestablement. Mais voilà : au moment où Donald TRUMP s’apprête à grever lourdement toutes les importations provenant de Chine (et, un peu moins sévèrement, les importations d’origine européenne), il ne reste à PÉKIN pour tout débouché substantiel et solvable de ses exportations que l’Union européenne.

Pour le reste, la Chine, en proie à ses propres difficultés économiques et démographiques, perçoit la Russie comme un modeste sous-traitant obligé, mais qui, en traitant avec la Corée du Nord, se promène sans autorisation dans l’arrière-cour des Chinois, qui, d’autre part, n’ont jamais vu d’un bon œil l’aventurisme nucléaire des Iraniens et des Nord-Coréens.

L’essentiel, pour nous, les Européens, c’est de garder le cap, de freiner le défaitisme décliniste, et de bien anticiper les tendances de fond de la redéfinition du devisement du monde, où il n’y a aucun doute, nous occuperons toujours une place enviable – et enviée.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.