Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous vous préoccupez du sort de notre planète…
Depuis une cinquantaine d’années, nous savons que le méthane est un redoutable gaz à effet de serre, c’est-à-dire qu’il contribue considérablement au réchauffement climatique de la planète.
Or, ce gaz a plusieurs origines, dont certaines sont entièrement naturelles et pour lesquelles la main de l’homme n’est pas en cause. Mais la responsabilité majeure en revient à l’agriculture, et, au sein de celle-ci, le coupable principal bien identifié est la vache laitière, dont le système digestif constitue une très efficace usine à méthane, rejeté dans l’atmosphère par ses orifices naturels. Au fur et à mesure que s’affinent les moyens techniques et statistiques, les estimations varient considérablement quant à la part de ces ruminants dans la production globale de méthane ; disons qu’elle se situe entre 12 % et 19 % de celle-ci, ce qui n’est pas rien.
Tout cela est bien connu. Mais il y a du nouveau.
Que voulez-vous dire ?...
C’est qu’en dehors des milieux scientifiques spécialisés qui œuvrent sans relâche depuis des décennies, l’opinion et les dirigeants politiques commencent à entrevoir des embryons de solution aux problèmes générés par l’agriculture intensive, dont celui de la vache laitière.
Cette prise en compte est présente, par exemple – et pas plus tard qu’hier – dans un domaine voisin, par l’accord conclu entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE sur l’encadrement de l’utilisation des nouvelles techniques génomiques. Celles-ci permettent de développer rapidement des végétaux de qualité, davantage résistants aux maladies et aux dérèglements climatiques, tout en consommant moins d’eau, moins de pesticides, moins d’engrais.
C’est en effet passionnant, mais revenons à notre vache laitière…
…et transportons-nous de l’autre côté de l’Atlantique, en Californie. C’est ici qu’une poignée de chercheurs et d’éleveurs ont mis au point un processus qui fait dévorer le méthane, produit par le lisier et les engrais naturels, par des colonies de millions de micro-organismes. Retenez leur nom : c’est Methylotuvimicrobium buryatense, découvert il y a une vingtaine d’années au fond d’un lac en Sibérie. Signe distinctif : ces microbes ont une jolie couleur rose.
Mais en consommant le méthane, ils constituent une biomasse riche en protéines, qui, à son tour, peut servir de complément alimentaire naturel au bétail.
Les résultats de cette recherche sont déjà appliqués par plusieurs élevages aux États-Unis ; rien ne s’oppose désormais à ce qu’ils soient adoptés et affinés en Europe – pour autant que l’UE amorce la pompe par des financements ciblés.
En Europe, justement, on a tout-de-même des idées, quand même ?...
Oui, mais on peine à les mettre en œuvre, et, quand on y parvient, le succès n’est pas toujours durable.
Prenons le cas de la société INNOVAFEED, inaugurée il y a neuf ans ; son centre d’activité principal est à NESLE, localité située sur le Plateau du Santerre, dans la Somme.
Les installations – les plus grandes du monde de cette technique – comprennent d’abord deux couvoirs géants, où 350.000 mouches, de l’espèce dite hermécie brillante, se reproduisent pour produire les larves, indispensables à l’étape suivante.
Celle-ci, c’est l’élevage des asticots : dix milliards de ces insectes travaillent nuit et jour à recycler des tonnes de déchets alimentaires dont ils sont particulièrement friands. Ces déchets proviennent tous de la région. Les insectes ont aussi besoin d’un micro-climat tropical : une température de 30 degrés Celsius, assortie d’un taux d’humidité de 70 % au minimum. Originalité : la source en est une centrale électrique voisine, reliée à l’usine par un réseau de tuyaux acheminant l’eau chaude et la vapeur.
Dernière étape : les asticots sont broyés, séchés, et réduits en poudre.
Et quel en est le produit fini ?...
Ce sont des additifs, ici aussi riches en protéine, à incorporer dans l’alimentation du bétail et des animaux de compagnie, ainsi qu’en pisciculture.
Et le succès est au rendez-vous ?...
Techniquement, oui ; financièrement, non. L’entreprise ne dégage toujours pas de bénéfice. Trois obstacles se dressent en travers de cette filière, pourtant novatrice et, de toute évidence, utile à plus d’un titre : d’abord, faire comprendre au marché que ce produit naturel de qualité se vend un peu plus cher qu’un produit industriel ; ensuite, faire comprendre aux investisseurs que la rentabilité est moins rapide chez les jeunes pousses industrielles que pour celles issues de l’informatique ; enfin, accélérer l’encadrement réglementaire de cette activité au niveau européen.
On notera que INNOVAFOOD s’en tire cependant moins mal que ses trois concurrents en France.
Et notre vache laitière, dans tout ça ?...
Elle, elle peut se nourrir de végétaux, fruits des nouvelles technologies génomiques, et de compléments alimentaires issus d’asticots ; et les microbes roses se chargeront de ses excréments.
Et vous, vous pourrez alors à nouveau consommer, toute honte effacée, un steak-frites au restaurant, au vu et au su de tous.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.