L'édito européen de Quentin Dickinson

De si Grands Desseins

© Gage Skidmore - Wikimedia Commons De si Grands Desseins
© Gage Skidmore - Wikimedia Commons

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, QD, vous scrutez comme le monde entier tout ce que peut dire l’actuel Président des États-Unis…

Pour l’instant, nous ne savons pas si les tonitruantes déclarations de Donald TRUMP sont le produit de sa propension à exister, grâce à une succession ininterrompue de provocations verbales et administratives, ou alors l’expression peu diplomatique d’une orientation nouvelle de l’idéal géopolitique américain.

Aucune certitude, donc ?...

Au moment où nous parlons, une seule chose paraît certaine : c’est que l’occupant de la Maison-Blanche réussit à merveille à capter, sans désemparer, l’attention de ses compatriotes et du monde.

Cependant, pour la suite, j’hésite entre deux hypothèses : ou bien, tout ce hourvari ne cache absolument rien, ou bien il constitue les trompettes thébaines annonçant l’avènement d’un Grand Dessein, frustré au cours du premier mandat de M. TRUMP, mais affiné pendant les quatre années de sa (très relative) traversée du désert.

Et, si cette seconde hypothèse s’avère être la bonne, rien ne dit qu’elle soit couronnée de succès.

Mais qu’est-ce qui vous permet d’être si catégorique ?...

Simplement, parce que les Grands Desseins, portés par un petit nombre de dirigeants à la tête d’un État, et sans tenir compte des intérêts de leur population ni de ceux des pays voisins, ont la fâcheuse habitude de tourner à la catastrophe.

Vous pensez à quels exemples ?...

Tenez : commençons par la Russie. En 1905, l’Empereur a pour Grand Dessein d’annexer totalement et définitivement la Mandchourie ; il déclare donc la guerre au Japon pour parvenir à ses fins. Mal lui en prend : sa flotte est envoyée par le fond devant TSUSHIMA par une escadre japonaise, et le voilà contraint à une paix désastreuse.

On peut aussi évoquer le Grand Dessein de STALINE que fut la collectivisation de l’agriculture, pour laquelle les paysans furent soumis à l’autorité de commissaires politiques délégués dans les campagnes, pour qui l’idéologie communiste, née dans les villes, tenait lieu d’engrais. Disettes et famines s’ensuivirent tout naturellement.

Toujours en Union soviétique, son successeur, Nikita KROUCHTCHEV, lança en 1954 son Grand Dessein à lui, baptisé les Terres vierges, consistant à fertiliser 42 millions d’hectares en Sibérie et au Kazakhstan – ce qui fut fait. Toutefois, faute de moyens de transport à la taille des récoltes, celles-ci pourrissaient régulièrement sur pied.

Parmi d’autres objectifs, le pari était d’égaler en l’espace de deux ans la production de viande bovine des États-Unis. A la chute de l’URSS en 1991, ce but n’était toujours pas atteint.

Mais il n’y a pas que les potentats russes à connaître semblables déconvenues de taille, tout-de-même ?...

Non, il y a aussi fort, peut-être même davantage, chez le grand voisin chinois. A lui seul, MAO Tsé-toung chérissait plutôt deux Grands Desseins qu’un seul, lui qui avait tout à la fois promis le Grand Bond en Avant en 1958, ainsi que sa suite, la Révolution culturelle à peine deux ans plus tard, et qui, l’un et l’autre, ont constitué un catalogue d’anthologie de tout ce qu’il faut faire pour couler une économie, avec son accumulation d’injustices, d’incohérences, et de misère humaine.

Vous en avez d’autres, des exemples de ce type ?...

Sans aucun doute. Voyez, par exemple, l’Argentine, qui était en 1900 un pays prospère et ouvert à un avenir brillant, mais qui ne s’est toujours pas remis de la gestion autoritaire et centralisée de son économie, notamment en raison de la succession de coups d’État, fomentés par des militaires ignares en ce domaine, mais eux aussi convaincus d’être porteurs d’un Grand Dessein.

Même constat, plus récemment, au Vénézuela, pays le plus riche d’Amérique latine il y a encore vingt-cinq ans, mais mis à genoux par le Grand Dessein bolivarien de MM. CHÁVEZ et MADURO, qui se traduit par une corruption institutionnalisée, et par une inflation dépassant régulièrement les 800 %.

On pourrait aussi se rappeler de Mme Liz TRUSS, cette éphémère Première ministre britannique, emportée avec son Grand Dessein économique en quarante-neuf jours seulement au 10, Downing Street – pour une fois, le bon sens (et la City de LONDRES) avaient rapidement réagi.

Enfin, que dire de ce Grand Dessein de Bill CLINTON d’orienter la Chine vers une société démocrate, qu’il tenait pour une trajectoire inévitable, si PÉKIN s’ouvrait à l’exportation, garante d’une prospérité nouvelle ? C’était l’idée généreuse du Président des États-Unis de l’époque, qui fit admettre la Chine comme membre à part entière de l’Organisation mondiale du Commerce.

On connaît la suite.

Un entretien réalisé par Laurent Pététain.